Des effets écologiques et économiques considérables
Les conséquences écologiques et économiques directes des évènements El Niño sont considérables ; elles concernent des écosystèmes entiers sur une échelle parfois gigantesque, et leur coût se chiffre en dizaines de milliards de francs. Parmi les domaines les plus touchés figurent la pêche, l'agriculture, les forêts, les cyclones.
Si certains effets sont directement attribuables à l'Oscillation Australe et sa phase chaude, il est parfois difficile d'établir une relation certaine entre des évènements exceptionnels et cette anomalie. Une grande prudence s'impose donc avant d'incriminer El Niño !
La pression des activités humaines sur les écosystèmes et leurs ressources contribue souvent à les rendre plus vulnérables aux variations climatiques, et conjuguent leurs effets à ceux d'El Niño pour en aggraver les conséquences sur les économies et les sociétés.
La pêche
Des ressources sensibles à l'environnement
L'Oscillation Australe conduit à un bouleversement des conditions hydrologiques dans le Pacifique tropical, dont les conséquences sur les ressources marines ne sont pas encore toutes connues ; elles portent sur la biologie des populations de poissons (reproduction, survie des oeufs et des larves), mais aussi sur leur accessibilité aux flottes de pêche : répartition géographique (étendue et déplacement) et bathymétrique (profondeur des masses d'eaux fréquentées).
Parmi les pêcheries les plus importantes et les plus affectées par ces fluctuations de l'environnement sont celles qui exploitent l'anchois au large de l'Amérique du Sud, et le thon tropical dans le Pacifique Ouest.
Le thon tropical (pêche à la canne)
L'anchois du Pérou (port de pêche industrielle)
Le thon tropical, un grand migrateur
Plus de 3 millions de tonnes de thon (70 % des prises mondiales) sont capturées dans l'Océan Pacifique. L'espèce dominante (le listao) est principalement pêchée dans le réservoir d'eaux chaudes Ouest-Pacifique. L'alternance des phases chaude et froide de l'Oscillation Australe entraîne le déplacement sur 2500 km des zones les plus riches en proies planctoniques recherchées par les thons, et donc celui des zones de pêche.
Un thon albacore de grande taille
Captures de thon et température de surface en 1989
Les retombées économiques sont importantes, à la fois pour les pêcheurs et pour les Etats riverains. La relation entre le cycle d'Oscillation Australe les déplacements des stocks de listao peut être utilisée pour prévoir, plusieurs mois à l'avance, la région d'abondance maximale de thon au sein d'une zone de pêche potentielle qui s'étend sur plus de 6000 kilomètres.
L'anchois du Pérou : de l'abondance à la pénurie
La remontée d'eaux froides et nutritives au large du Pérou permet le développement d'un stock d'anchois qui peut dépasser 15 millions de tonnes, mais aussi diminuer très rapidement (car l'espèce ne vit que 2 ou 3 ans) lorsqu'El Niño bloque cet enrichissement. La capacité de capture des flottes de pêche ne s'adapte pas aussi vite à ces fluctuations.
En 1972 l'arrivée d'un El Niño après plusieurs années de développement intensif de la pêcherie a provoqué son effondrement spectaculaire, faisant chuter les captures annuelles de 12 à 2 millions de tonnes en 3 ans. La pêcherie d'anchois du Pérou a quasiment disparu pendant 20 ans, avec des conséquences économiques et sociales très importantes, aussi bien localement qu'au niveau de l'agriculture mondiale par l'intermédiairedu marché de la farine de poisson.
Les fluctuations de l'environnement marin, conséquences d'El Niño, et la pêche très intensive ont conjugué leurs effets pour conduire à l'effondrement brutal de cette pêcherie, la plus importante du monde.
L'agriculture
L'agriculture des pays du Sud : des systèmes fragiles
Qu'elles provoquent pluies ou sécheresse, les anomalies climatiques liées à El Niño ont des conséquences directes sur la vie de millions de paysans et l'économie de nombreux Etats, surtout dans les régions tropicales. Mais elles touchent indirectement l'ensemble de la population de ces pays, car la perturbation de la production agricole entraîne souvent la hausse des prix des denrées alimentaires au niveau du consommateur.
Par son ampleur et sa précocité, l'épisode El Niño actuel (1997-98), est déjà lourd de conséquences dans de nombreuses régions, notamment en Indonésie et en Afrique de l'Est, qui souffrent respectivement de sécheresse et de pluies exceptionnelles.
Sécheresse en Indonésie
La plus forte sécheresse connue depuis un demi-siècle en Indonésie a aggravé la situation alimentaire du pays. Les mauvaises récoltes de la fin de l'années 1997 sont en partie responsables d'un déficit de 2 millions de tonnes de la production de riz, et l'année 1998 ne s'annonce pas meilleure : la sécheresse persistante a retardé la plantation du riz, qui commence normalement en octobre-novembre. Les importations de riz pourraient doubler en 1998.
Les autres cultures ne sont pas épargnées (maïs, café, cacao). Dans un contexte de crise économique, les prix des produits alimentaires augmentent, les stocks s'effritent et la spéculation apparaît.
Déluges en Afrique de l'Est
Les pluies torrentielles qui se sont abattues depuis octobre 1997 en Afrique de l'Est ont de graves conséquences alimentaires et sanitaires et, selon la FAO, environ 10 millions de personnes nécessitent fin 1997 une aide alimentaire d'urgence. Dans certaines régions des pays les plus touchés, comme la Somalie, le Kenya ou l'Ethiopie, 80% des cultures de céréales ont été détruits et les rendements sont en forte diminution. Du fait de l'humidité ambiante, les stocks alimentaires sont attaqués par des champignons.
Les inondations ont directement causé la mort de dizaines de milliers de têtes de bétail, et ce bilan a encore été alourdi par le développement de maladies parasitaires transmises aux animaux par des insectes. Dans certains pays cependant (Ouganda), l'agriculture a plutôt bénéficié de cette pluviométrie anormalement forte, qui a permis la reconstitution de pâturages et la production des cultures après des années de sécheresse.
Les forêts : "L'année où la terre a pris feu"
C'est ainsi que le directeur du Programme "Forêts" du World Wildlife Fund qualifie l'année 1997, où les incendies ont détruit plus de forêt que dans aucune autre période connue de l'Histoire. Et aussi où El Niño a été exceptionnellement intense... Simple coïncidence, ou relation de cause à effet ?
Les sécheresses, elles aussi exceptionnelles, provoquées par El Niño, sont rarement à l'origine directe des incendies de forêt dans la région Pacifique, sauf en ravivant des foyers couvant depuis des mois. Elles créent cependant les conditions favorables pour que des feux, couramment allumés dans le cadre des pratiques agricoles, sylvicoles ou domestiques, se propagent sur des étendues gigantesques sans contrôle possible.
Les incendies qui ont sévèrement touché l'Indonésie en 1997 sont clairement visibles depuis l'espace, et leurs fumées se sont répandues sur l'ensemble de la région. Ci contre, une image satellite de Bornéo en octobre 1997 (largeur de l'image : environ 280 km). Les feux de brousse sévissent également en Australie.
El Niño 95 : une saison dévastatrice en Polynésie
Une des manifestations les plus spectaculaires et les plus violentes de l'interaction entre océan et atmosphère sous les tropiques est le cyclone, qui puise son énergie dans les couches superficielles les plus chaudes (plus de 27 °C). L'Oscillation Australe a des répercussions importantes sur la trajectoire des cyclones tropicaux, qui peuvent atteindre des régions où les conditions nécessaires à leur formation ne sont normalement pas réunies. Ainsi en 1982-83, un El Niño exceptionnellement intense provoqua le passage sur la Polynésie de 6 perturbations tropicales (dont 5 cyclones) en 5 mois, causant des dégâts matériels considérables et plusieurs pertes humaines.