Sale temps sur la Bretagne ?
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Des scientifiques bretons ont réalisé une synthèse des impacts du changement climatique sur les écosystèmes marins de l’ouest de la France. En vue du sommet de Copenhague sur le climat.
Elle sera sûrement dans vos assiettes à Noël ! Quand l’huître creuse japonaise a été introduite sur la façade atlantique dans les années 70 pour faire face à l’effondrement des stocks d’espèces locales, elle n’était pas censée investir les espaces naturels. Or aujourd’hui, elle prolifère le long des nos côtes.
Un escargot qui remonte
Dans la thèse qu’elle a soutenue à l’IUEM(1) en 2008, Leila Mestertzheim(2) a montré que ce phénomène était clairement dû au réchauffement de l’eau et non à une adaptation génétique de l’espèce.
L’histoire du petit mollusque Cyclope neritea est différente. Originaire de Méditerranée, la limite nord de son aire naturelle de distribution se trouvait au niveau du Pays basque espagnol. Cette limite est remontée vers Arcachon dans les années 70, et depuis 2000, on trouve le mollusque en baie de Morlaix ! « En recherchant les populations sources grâce à une approche génétique, nous nous sommes aperçus qu’il ne s’agissait pas des mêmes populations ; que la remontée vers le nord était due à de multiples événements d’introduction », explique Frédérique Viard qui a coencadré une thèse sur le sujet de 2003 à 2006 au sein de l’équipe Évolution et génétique des populations à la Station biologique de Roscoff.
Ces résultats concrets alimentent le rapport remis par Paul Tréguer(3) au conseil économique et social de la Région Bretagne, en vue de la préparation du sommet de Copenhague (lire ci-contre). Pour tenter de répondre à une question simple : le climat est-il en train de changer en Bretagne ? Et quelles peuvent en être les conséquences pour les milieux côtiers marins ? Avec Frédérique Viard et Marie Lhuillery, ils ont rassemblé des résultats de la littérature scientifique et des données produites par deux instituts de recherche brestois (l’Ifremer et l’IUEM) et la Station biologique de Roscoff. Météo France a fourni les températures, le Shom(4) des exemples de simulation de l’élévation du niveau de la mer (voir cartes ci-dessus). « Je suis un déterministe résolu, poursuit Paul Tréguer. Je voulais que ce rapport s’appuie sur des données solides, récoltées dans des conditions rigoureuses. »
Les températures moyennes annuelles relevées en Bretagne par Météo France sont plus élevées pour la période 1997-2006, qu’entre 1971 et 2000. Plus localement encore, la station de Lanvéoc, dans le Finistère, confirme cette tendance à l’augmentation entre les années 1985 et 2009. De même, la température moyenne annuelle des eaux environnant la péninsule armoricaine a augmenté de plusieurs dixièmes de degrés au cours des dernières décennies. Du côté du niveau de la mer, le marégraphe de Brest (avec plus de deux cents années d’enregistrements) affiche une élévation d’environ 1,2mm par an depuis 1908. Cela peut être considéré comme significatif au regard de l’élévation moyenne globale, estimée, selon le Giec(5), entre 1 et 3mm par an.
Ces tendances à la hausse semblent se confirmer dans les prévisions à long terme. Météo France a réalisé une simulation climatique à l’échelle régionale pour la période 2050-2099. Elle prévoit une augmentation de 0,5°C pour la période hivernale et de 3,7°C pour la période estivale, en se basant sur le scénario le plus pessimiste du Giec (scénario A2, dans lequel l’augmentation de l’émission des gaz à effet de serre s’inscrirait dans la continuité avec celle d’aujourd’hui). « Mais attention, prévient Paul Tréguer : cette simulation régionale doit être considérée comme très préliminaire, car elle ne tient pas compte des effets de la modification de la circulation océanique sur l’Atlantique Nord. »
Et demain ?
L’acidification des océans, due à la dissolution de quantités croissantes de dioxyde de carbone par l’eau de mer, est un processus déjà à l’œuvre. C’est une vraie menace pour les organismes à carapace calcaire. Les eaux armoricaines devraient être sérieusement touchées dans quelques décennies.
Tout est imbriqué
On l’aura compris, les perturbations des milieux littoraux ne sont pas toutes dues au réchauffement climatique. Celui-ci ne constitue qu’une partie du changement global, dans lequel interviennent des variations naturelles et aussi celles dues à l’activité humaine sur le littoral et en mer (pêches, récoltes, introductions d’espèces...). « Cela est d’autant plus complexe que la Bretagne, de par sa situation littorale, est située à la confluence des zones marines et terrestres, précise Paul Tréguer. Et cette dernière est très influencée par l’activité humaine. Toute la difficulté consiste à faire la part des choses. » D’où le besoin et l’urgence de disposer de plus de données locales fiables. « Cela nous permettrait d’avoir une meilleure connaissance de la variabilité et de faire des analyses plus fines, renchérit Frédérique Viard. Et surtout, il faudrait poursuivre l’effort sur le long terme en nous appuyant notamment sur les professionnels, les pêcheurs et les goémoniers pour l’observation. Car ils connaissent bien le milieu. »
Sur ce plan, la Bretagne n’est peut-être pas si mal lotie : elle possède quand même la moitié du potentiel national d’observation en sciences et techniques de la mer. Mais les chercheurs attendent aujourd’hui un véritable soutien de leurs tutelles et des autorités politiques.
(1) IUEM : Institut universitaire européen de la mer.
(2) Lire Sciences Ouest n°233 - juin 2006.
(3) Paul Tréguer est chercheur à l’IUEM. Il a piloté le réseau européen d’excellence EUR-OCEANS (impacts du changement climatique sur les écosystèmes marins) de 2005 à 2008.(4) Shom : Service hydrographique et océanographique de la marine.
(5) Giec : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Paul Tréguer, Tél. 02 98 49 86 64
paul.treguer [at] univ-brest.fr (paul[dot]treguer[at]univ-brest[dot]fr)
Frédérique Viard, Tél. 02 98 29 23 12
viard [at] sb-roscoff.fr (viard[at]sb-roscoff[dot]fr)
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