Les singes ont la parole

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N° 273 - Publié le 29 juillet 2014
© Alban Lemasson

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Des chercheurs rennais ont montré la surprenante capacité de certains primates à utiliser la syntaxe.

«Boom boom hok-oo hok-oo krak-oo krak-oo !” Ce n’est pas la dernière chanson à la mode, mais cela veut dire : “Attention, groupe concurrent en limite de territoire” dans le répertoire vocal des mones de Campbell, des singes arboricoles des forêts. Des éthologues de l’Université de Rennes 1 ont découvert que les mâles de cette espèce formaient des “phrases” en combinant six cris : “boom”, “wak”, “hok”, “hok-oo”, “krak-oo” et “wak-oo”.

Une syntaxe animale

« Un mâle peut émettre trois cris de base : wak, hok et boom, précise Alban Lemasson, cosignataire des deux publications parues en 2009 sur cette découverte(1), et le répertoire augmente en ajoutant le son “oo”. » Un suffixe en quelque sorte. Mais surtout, « ces cris ne sont jamais émis seuls, poursuit l’éthologue, ils font partie de séquences construites à partir d’un à quatre cris, répétés deux à quarante fois ! » Ces longues phrases respectent des règles de composition, pour véhiculer des messages différents : chute d’un arbre ou présence d’un léopard. « C’est l’exemple le plus complexe des prémices d’une syntaxe décrit à ce jour chez l’animal, poursuit Alban Lemasson. C’est important, car trop longtemps la syntaxe a été considérée comme le propre de l’homme. »

Pour identifier le phénomène, Karim Ouattara, alors en thèse dans le laboratoire rennais, est parti deux ans dans le parc national de Taï, en Côte d’Ivoire, au milieu des mones sauvages. « Ils vivent en harem, détaille Alban Lemasson, un mâle, plusieurs femelles et leurs petits. La voix grave des mâles se propage bien dans la forêt. » Heureusement, car les arbres, denses, rendent difficile l’observation des animaux, même proches.

L’ancêtre de notre langage ?

Les femelles, de leur côté, ne sont pas muettes. « Elles vocalisent plus que les mâles. Pendant qu’ils gèrent la protection du territoire et les déplacements, elles s’occupent des contacts sociaux au sein du groupe. » À la Station biologique de Paimpont (35), seul laboratoire au monde à élever un grand groupe de mones, Alban Lemasson a distingué des règles proches des nôtres. Ces résultats ont été publiés le 6 janvier dernier(2). « Les femelles ne se coupent pas la parole et n’attendent jamais plus d’une seconde pour se répondre. » Les aînées reçoivent aussi plus de réponses vocales. Voix de la sagesse ou bénéfice d’un réseau social qui s’élargit avec les années ? Le débat reste encore entier.

Une question, qui concerne l’humain, taraude aussi Alban Le-Masson : peut-on voir dans ces règles de communication des précurseurs de notre langage ? Il faudra d’autres études pour le savoir. Mais nul ne doute que cette découverte va renforcer l’envie de l’homme de comprendre le “langage” des animaux.

Alban Lemasson, Tél. 02 99 61 81 59
alban.lemasson [at] univ-rennes1.fr (alban[dot]lemasson[at]univ-rennes1[dot]fr)

(1) Ouattara K., Lemasson A., Zuberbühler K. Campbell’s monkeys use affixation to alter call meaning/Plos One et Generating meaning with finite means in Campbell’s monkeys/Proceedings of the National Academy of Sciences.
(2) Lemasson A., Gandon E., Hausberger M. Attention to elders’ voice in non-human primates. Biology Letters.

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