Toucher, émotion : quels impacts ont les manipulations à la naissance ?
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L’expérimentateur (ici Séverine Henry) frotte le poulain de la tête jusqu’à l’arrière-main, selon le protocole d’imprégnation défini par un vétérinaire américain. Cette manipulation à la naissance dure près d’une heure.
Des travaux effectués dans un laboratoire de l’Université de Rennes1 ont démontré que les expériences précoces menées sur le poulain n’ont pas toujours l’effet escompté...
Éthologue dans l’unité EthoS(1) basée à l’Université de Rennes1, Virginie Durier commence à travailler sur un thème de recherche nouveau pour le laboratoire : l’impact des expériences précoces (post-natales) chez le bébé humain. Pourtant c’est une publication sur des expérimentations menées chez le poulain, sortie en novembre dernier(2), qu’elle vient de cosigner. « Nous sommes partis des résultats de la thèse que Séverine Henry a menée de 2003 à 2006 au sein de notre laboratoire sur la méthode dite d’imprégnation du poulain nouveau-né. »
Une méthode infondée
L’imprégnation est pratiquée dans de nombreux élevages. Elle consiste à frotter les poulains pendant une heure immédiatement après leur naissance, selon une méthodologie très détaillée, et de les mettre en contact avec des objets couramment utilisés plus tard : spray, tondeuse, licol... afin de les familiariser avec l’homme et ces différents objets de crainte. Formalisée et commercialisée par un vétérinaire américain, Robert Miller, dans les années 90, cette méthode est décortiquée par des chercheurs depuis le début des années 2000 et se révèle complètement... infondée. Les travaux de Séverine Henry le confirment. « Je me suis intéressée à la qualité de la relation des poulains avec l’homme à la suite de cette manipulation précoce, précise-t-elle. Il apparaît clairement que les poulains manipulés à la naissance sont plus distants avec l’homme que des poulains non manipulés et que cette méfiance perdure jusqu’à au moins 6 mois. La relation mère/ jeune est aussi perturbée : les poulains restent très collés à leur mère et s’émancipent peu, leur réaction au sevrage est plus forte et ils expriment plus d’agressivité envers les autres jeunes du groupe : morsures, menaces(3). »
À droite ou à gauche ?
Virginie Durier a voulu croiser ces résultats avec des travaux menés par d’autres collègues sur la latéralité chez les primates. « Nous savons que le cerveau est latéralisé et que les informations sensorielles comme la vision, l’audition et le toucher sont traitées par l’hémisphère contralatérale, explique-t-elle. Par exemple, ce qui est vu avec l’œil droit est analysé dans une zone qui se trouve à gauche dans le cerveau. On a donc voulu voir si frotter les poulains du côté gauche ou du côté droit avait un effet. » Et là encore, les résultats sont sans appel. Dès leur dixième jour, les poulains réagissent différemment à l’approche de l’expérimentateur. Neuf des dix poulains manipulés à droite prennent la fuite, qu’ils soient approchés par la droite ou par la gauche. Les neuf poulains manipulés à gauche ont plus peur d’être approchés par la gauche et se comportent comme les témoins (ils n’ont pas peur) quand ils sont approchés par la droite. « Ils ne perçoivent pas le stress de la même façon et n’ont pas la même mémoire émotionnelle, poursuit l’éthologue. Reste maintenant à comprendre pourquoi. »
Chez des prématurés
Mais Virginie Durier ne perd pas de vue son objectif : passer du poulain à l’homme. « Je me suis rapprochée du professeur Sizun, responsable du Pôle de la femme, de la mère et de l’enfant du CHU de Brest, pour travailler sur des bébés prématurés. Nous allons étudier le comportement des bébés lors des soins et des phases calmes. Je vais essayer de voir si le côté où ils reçoivent le plus de stimulations a une influence sur leur comportement et sur les paramètres neurovégétatifs habituels : température, taux d’oxygène et rythme cardiaque. Et voir si on peut apporter des améliorations. » C’est un travail de longue haleine, car, contrairement à celui des poulains, l’environnement de l’homme est impossible à contrôler expérimentalement. Pas facile alors de déduire le paramètre influant sur le développement émotionnel. Mais c’est un premier pas.
(1) EthoS : Laboratoire d’éthologie animale et humaine - CNRS/Université de Rennes1.
(2) Differential outcomes of unilateral interferences at birth. Biology letters, 2010. http://rsbl.royal societypublishing.org/content/early/2010/11/12/rsbl.2010.0979.abstract?sid=c20f235a-11f4-43c7-8f33-24836d9c3ec7*.
(3) Neonatal handling affects durably bonding and social development. PlosOne, 2009. www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0005216*.
Virginie Durier
Tél. 02 23 23 51 45
virginie.durier [at] univ-rennes1.fr (virginie[dot]durier[at]univ-rennes1[dot]fr)
Séverine Henry
Tél. 02 99 61 81 56
severine.henry [at] univ-rennes1.fr (severine[dot]henry[at]univ-rennes1[dot]fr)
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