Branchez-vous sur la forêt
Discrète, la forêt bretonne n’en est pas moins un espace à découvrir et à l’origine d’une filière économique en mutation.
La légende arthurienne a porté l’aura de la forêt de Brocéliande au-delà de nos frontières. Pour autant, on ne peut pas dire que la Bretagne soit une région de tradition forestière. C’est l’agriculture qui occupe la plus grande partie de l’espace rural. La forêt ne couvre que 13% des terres bretonnes, soit moins de la moitié de la moyenne nationale qui est de 28%. Mais, forte de ses 357 000 hectares, elle n’en est pas moins une composante du territoire et affiche ses particularités.
La première particularité tient à sa grande richesse en essences : entre 60 et 70 différentes, « avec une nette prédominance des feuillus, précise Gilles Pichard, ingénieur au Centre régional de la propriété forestière (CRPF) de Bretagne. Dans ce groupe, les chênes, le châtaignier et le hêtre sont les essences majoritaires qui ont reconquis la péninsule armoricaine après les dernières glaciations. À leur côté, on trouve un grand nombre d’essences feuillues disséminées ou en mélange : tremble, bouleaux, frêne, merisier, alisier, aulne, tilleul... » Quant aux conifères, hormis l’if qui est le seul local, tous les autres ont été introduits de plus ou moins longue date : le sapin pectiné et le pin sylvestre aux 16e et 17e siècles et le pin maritime au 18e. Après la dernière guerre, une politique d’enrésinement à des fins économiques a introduit des essences plus productives comme l’épicéa de Sitka, le Douglas, le sapin géant de Vancouver et le mélèze du Japon...
Demande de produits standardisés
« Cette grande variété d’essences est bien sûr un atout du point de vue de la biodiversité, reprend Gilles Pichard, mais face à une industrie qui demande des produits de plus en plus standard elle devient un frein pour la gestion de la forêt. » Surtout dans le contexte actuel - une filière forêt/bois, très déficitaire au niveau national et pas plus vaillante en Bretagne. Les feuillus, comme le chêne autrefois très prisé par la marine et l’industrie du meuble, sont aujourd’hui sous-valorisés : le bois massif n’est pratiquement plus utilisé dans le mobilier, remplacé par du contreplaqué, tandis que parquets et terrasses font la part belle aux bois tropicaux. « Alors que des essences locales comme le robinier ou le châtaignier pourraient très bien faire l’affaire », constate Gilles Pichard. Bilan, bien qu’ils ne représentent que 30% de la surface forestière, ce sont les résineux qui sont les plus exploités, dans des produits à faible valeur ajoutée comme la caisserie et la palette dont l’industrie agroalimentaire est très friande. Mais depuis peu, un espoir renaît avec un nouveau marché : celui de la construction bois.
Matériau sain, renouvelable, aux propriétés isolantes et résistantes reconnues, le bois a sa carte à jouer dans une société qui cherche à renouer avec le naturel. En témoigne le développement de la part de marché de la construction, passé en 6 ans de 5% à plus de 12% aujourd’hui. Ce nouvel engouement des consommateurs est l’occasion de renforcer l’offre régionale. Délégué général d’Abibois, le réseau des professionnels du bois en Bretagne, Olivier Ferron y travaille. « Nous venons de terminer une étude de faisabilité sur l’implantation d’une cellule de traitement des bois à haute température, explique-t-il. Assez peu développée en France, cette technologie permet de traiter les bois pour les usages extérieurs, de les colorer... tout cela sans avoir recours à des produits chimiques. L’idée est d’arriver à mieux valoriser les essences locales en les positionnant sur des marchés actuellement pris par des bois d’importation. Une des cinq entreprises avec lesquelles nous avons travaillé a fait le choix d’investir. »
Une ressource atomisée !
D’autres projets sont en cours entre Abibois et les professionnels locaux. Mais les regards se tournent maintenant encore plus en amont, du côté des propriétaires. C’est l’autre particularité de la forêt bretonne : elle est privée à 92% et détenue - cela ne facilite pas la gestion- par 116 000 propriétaires ! « C’est pourtant d’eux que dépend la qualité de la ressource. Mais s’ils sont attachés à la valeur patrimoniale de leur bien, beaucoup n’ont pas de culture forestière », note Olivier Ferron.
Les propriétaires de plus de 25 hectares doivent obligatoirement avoir un plan simple de gestion, c’est-à-dire une vision à long terme de la conduite de leur forêt en y programmant les coupes et travaux indispensables à son développement. Mais ils sont à peine un millier (qui représentent toutefois plus du quart de la forêt privée bretonne). « Nous essayons de toucher les autres en les sensibilisant aux codes de bonnes pratiques sylvicoles -nous en suivons déjà plus de 800 -, en les informant grâce à notre bulletin de liaison, nos autres publications, et en les conviant à des réunions techniques tout au long de l’année », précise Gilles Pichard.
Cibler les propriétaires forestiers
Cette Année internationale des forêts (lire encadré p.11), est donc l’occasion pour le CRPF et Abibois de renforcer leur communication. Organisées en avril dernier, les assises de la forêt bretonne avaient pour objectif de cibler les propriétaires forestiers et de les informer de l’importance de la commercialisation, la certification et la reconstitution de leurs bois, afin d’en assurer la pérennité. « Les assises ont rassemblé 10% de la surface forestière régionale », précise Olivier Ferron. C’est déjà un pas.
Une année mondiale pour la forêt
Source d’énergie renouvelable, de matériau de construction ou de matière première pour l’industrie papetière, la forêt est aussi un réservoir de biodiversité qui joue un rôle primordial dans le stockage du carbone et la régulation du cycle de l’eau, tout en étant un espace patrimonial et de loisir. Toutes ses fonctions valaient bien que l’on s’y arrête. C’est donc pour sensibiliser les opinions sur l’importance d’une gestion durable des forêts -dans le monde entier que l’assemblée générale des Nations unies a déclaré 2011 “Année internationale des forêts”. Cette mise en lumière est aussi l’occasion de contrecarrer quelques idées reçues dans notre pays : non la forêt française n’est pas en déclin. L’armada de réglementations rend ce phénomène impossible. Oui, il faut couper les arbres ! Depuis 2007, le Grenelle de l’environnement et les assises de la forêt ont fixé l’objectif de produire davantage de bois. Car le bois utilisé actuellement en France est produit dans l’est du pays mais aussi dans d’autres pays d’Europe ! La filière reste déficitaire.
Gilles Pichard Tél. 02 99 30 97 30
gilles.pichard [at] crpf.fr (gilles[dot]pichard[at]crpf[dot]fr)
Olivier Ferron Tél. 02 99 27 54 26
olivier.ferron [at] abibois.com (olivier[dot]ferron[at]abibois[dot]com)
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