100 ans de froid domestiqué

N° 294 - Publié le 5 janvier 2012
© DR / © PÔLE CRISTAL - STÉPHANE MAILLARD

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En un peu plus d’un siècle, l’homme a su apprivoiser le froid. Le Pôle Cristal, basé à Dinan, en a fait sa spécialité.

L’homme a su fabriquer du chaud avant de savoir faire du froid. Le froid artificiel est apparu à la fin du 19e siècle. Depuis, il ne cesse de se perfectionner et nous ne pouvons plus nous en passer. Sans froid, pas de produits frais dans les magasins d’alimentation, pas de cryoconservation de matériel génétique dans les laboratoires de recherche, pas de banques internationales de préservation de la biodiversité et pas non plus de puces électroniques... Pour domestiquer le froid, nous avons inventé les technologies - climatisation, réfrigération, congélation, cryogénisation - des gaz tels que les fréons et des métiers : frigoristes, climaticiens...

Un centre de ressources labellisé

À Dinan, le lycée de la Fontaine-des-Eaux prépare depuis trente ans à ces métiers du froid et du génie climatique. C’est là qu’est né, il y a 15 ans, le Pôle Cristal, devenu, en septembre dernier, le seul centre de ressources technologiques labellisé dans le domaine du froid en France. « À l’origine, rappelle son directeur, Frédéric Bazantay, le Pôle était une initiative du lycée et de la Communauté de communes de Dinan au service des entreprises locales. » En 2007, le Pôle Cristal a pris une dimension régionale en devenant un des seize centres d’innovation technologique régionaux. « Nous sommes le centre de référence pour le froid et le génie climatique comme le Ceva(1) l’est pour les algues. »

Le directeur décrit la mission du Pôle Cristal comme un « accompagnement à l’innovation », la moitié de l’activité consiste à informer et favoriser les relations entre les entreprises du froid. « Nous organisons des colloques, des journées techniques et emmenons des entreprises locales sur notre stand au salon Interclima qui se tient tous les deux ans à Paris. » L’autre activité du Pôle Cristal consiste à effectuer des missions de recherche et de développement sous contrat, pour les entreprises et pour les instituts de recherche. Le Pôle Cristal dispose pour cela d’un vaste plateau technique et de spécialistes. « Nous avons une chambre climatique de 160m3, explique Ludovic Méar, technicien chargé d’essais. Nous pouvons faire varier la température à l’intérieur de 0°C à 35°C. » Dans une autre, plus modeste, la température peut descendre jusqu’à -15°C. « Nous utilisons différents capteurs pour mesurer la température, l’hydrométrie, la vitesse de l’air... » Le Pôle Cristal intervient dans trois secteurs. Celui du bâtiment pour toute question liée à la climatisation notamment via les pompes à chaleur. Une thèse portant sur le développement d’une thermo-frigo-pompe est en cours. « Il s’agit d’une pompe à chaleur qui pourrait fournir du froid ou du chaud de manière alternative et/ou simultanée. »
 



© PHOTONONSTOP -HERVÉ DE GUELTZL


Le refroidissement du lait

Dans le secteur de l’agriculture et de l’élevage, le Pôle Cristal a été sollicité par l’Ademe(2) dans le cadre de l’opération Éco Énergie Lait. Une opération qui concerne 12000 producteurs de lait dans l’Ouest. Car sitôt trait, le lait doit être refroidi. « Or la traite a lieu deux fois par jour, le soir et le matin, juste au moment des pics de consommation d’électricité. Ce qui ajoute un problème récurrent d’approvisionnement pour la Bretagne. » Pilotée par le GIE Lait Viande de Bretagne, l’opération Éco Énergie Lait consiste à accorder des subventions aux éleveurs pour investir dans des équipements de refroidissement moins gourmands en énergie.

13,4 millions de litres de lait par jour !

Dérisoire ? En 2010, les vaches bretonnes ont produit plus de 4,9 milliards de litres de lait, soit environ 13,4 millions de litres chaque jour, qui doivent passer de 37 à 4°C en moins de trois heures ! Le tank où est stocké le lait est équipé d’un groupe froid qui consomme de l’électricité. Mais pour descendre la température du lait sans consommation excessive, on peut utiliser un prérefroidisseur qui fonctionne grâce à l’eau de ville. On peut également utiliser la chaleur rejetée par le groupe froid via un récupérateur de chaleur. Ce sont ces deux équipements que le Pôle Cristal a été chargé de tester. La taille de son plateau technique permettait d’accueillir du matériel de grande taille. Pour prétendre à une subvention de la Région Bretagne ou des départements bretons, les constructeurs devaient le solliciter.

Une quinzaine de prérefroidisseurs et cinq récupérateurs de chaleur ont ainsi été testés et un équipementier américain s’est même mis sur les rangs. Les tests ont montré des écarts importants de consommation d’énergie, de 20 à 50%. Et certains matériels se sont révélés insuffisamment performants pour être éligibles aux subventions. « À la suite de ce test, certains constructeurs nous ont demandé de les aider à améliorer les performances énergétiques de leurs produits. » Il est même question de récupérer les calories confisquées au lait pour chauffer l’eau sanitaire de la salle de traite. « C’est typiquement de la R&D, avec l’idée d’une application immédiate pour l’entreprise, car nous pouvons aller jusqu’à la réalisation d’un prototype. »

Diminuer la facture énergétique

L’agroalimentaire est le troisième secteur où les compétences et les moyens techniques du Pôle Cristal sont appréciés. Le Pôle Cristal a été le partenaire de l’Irstea(3) sur un projet de nouvelles lignes de conditionnement de produits frais. Baptisé Froiloc, ce projet vise à modifier les conditions de travail dans les zones froides des usines et à diminuer la facture énergétique. « Il s’agit ici d’innovation à plus long terme, mais être un maillon entre les laboratoires de recherche et les entreprises fait aussi partie de notre mission. »

Il souffle le froid depuis 103 ans

Peu connu du grand public, il est né sous forme d’association en 1908, à Paris. Devenu organisation intergouvernementale indépendante (depuis 1954), l’Institut international du froid (IIF) diffuse les connaissances sur les technologies du froid dans tous les pays. L’IIF rassemble 61 pays et détient une base de données sur le froid (Froidoc) de plus de 90000 documents.

Il pousse régulièrement à une meilleure utilisation de la chaîne du froid pour la conservation alimentaire. Selon ses calculs, en 2009, 25% des denrées alimentaires mondiales ont été perdues après leur récolte faute de moyens de conservation adaptés. Un tiers de la production alimentaire dans le monde se compose de denrées périssables. Aux États-Unis où le volume d’entrepôts frigorifiques est de 300m3 pour 1000 habitants, la perte en fruits et légumes est de 12%, alors qu’elle est de 40% en Inde où le volume d’entrepôts frigorifiques est de 75m3/1000 habitants. L’IIF fait des recommandations aux Nations unies ou à la FAO. Elles peuvent être consultées gratuitement sur son site : iifiir.org.

 

COMPRENDRE - DE L'ÉTHER AUX FRIGORIGENES INTERDITS
 

Qu’est-ce qui fait qu’un fluide est un bon frigorigène (ou réfrigérant) ? Sa capacité à absorber de la chaleur lorsqu’il passe de l’état liquide à l’état gazeux, cela à une température faible et à la pression atmosphérique.Lavoisier en 1777 avait déjà noté qu’à température ambiante, l’éther devenait gazeux en dégageant une grande quantité de froid. C’est justement l’éther éthylique que Jacob Perkins utilise pour construire le premier prototype de machine à fabriquer du froid, une invention pour laquelle il dépose un brevet en 1834.

De nouvelles machines naissent qui utilisent le dioxyde de soufre ou de carbone, le chlorométhane ou le chloroéthane ou encore l’ammoniac. Le premier réfrigérateur domestique est commercialisé en 1913 aux États-Unis. Mais tous ces produits réfrigérants sont, soit hautement inflammables, soit toxiques. En 1930, l’industrie du froid artificiel prend un virage avec la mise au point par la Frigidaire Corporation, dirigée par Thomas Midgley, de nouveaux fluides frigorigènes plus inoffensifs : les CFC, les chlorofluorocarbures. La molécule est composée d’un atome de carbone, d’un ou deux atomes de chlore et d’un ou deux atomes de fluor. La société invente dès 1931 les HCFC, hydrochlorofluorocarbures (avec un atome d’hydrogène en plus) qui sont fabriqués industriellement par DuPond de Nemours dès 1932 sous le nom de fréon.

Mais en 1974, deux Américains Rowland et Molina montrent que les CFC ne sont pas si inoffensifs que leurs inventeurs le pensaient : ils détruisent la couche d’ozone (O3) qui nous protège des ardeurs du soleil. Très stables, les molécules de CFC s’accumulent dans les hautes couches de l’atmosphère. Là, sous l’effet des rayons UV du soleil, elles finissent par se casser et donner des atomes de chlore, destructeurs des trioxygènes.

Les CFC sont interdits depuis 1987. Les HCFC ne sont plus fabriqués depuis 2010, les systèmes de refroidissement utilisant les HCFC peuvent encore s’approvisionner en HCFC recyclés, mais le 31 décembre 2014, tous les HCFC devront être totalement abandonnés.

Aujourd’hui les industries françaises utilisatrices de froid se tournent vers les HFC, les hydrofluorocarbures, qui ne contiennent plus de chlore. D’autres pays ont fait le choix de l’ammoniac. Pas sûr que la réglementation sur les HFC ne devienne pas plus contraignante dans un proche avenir car les HFC ont un pouvoir de réchauffement global (PRG ou GWP en anglais) élevé : de 1500 à 4000. Cela signifie que 1kg de HFC a le même PRG que 1,5 à 4 t de CO2 !

Christelle Garreau

(1)Ceva : Centre d’étude et de valorisation des algues.

(2)Ademe : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

(3)L’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture) est le nouveau nom du Cemagref.

Frédéric Bazantay Tél. 02 96 87 20 00
f.bazantay [at] pole-cristal.tm.fr (f[dot]bazantay[at]pole-cristal[dot]tm[dot]fr)

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