Le patrouilleur de l’océan austral

N° 304 - Publié le 7 décembre 2012
© R.PERIN - IPEV

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Entre deux trajets vers les îles pour débarquer les hivernants, le Marion Dufresne sert aux missions océanographiques.

L’Ipev a des bases au bout du monde, des îles subantarctiques au continent blanc. Les navires qui les ravitaillent mènent aussi des campagnes océanographiques. La Commission nationale de la flotte hauturière évalue scientifiquement les appels d’offres, pour ces campagnes, et les répartit sur les huit grands navires de recherche français(1).

« L’Ipev est un gestionnaire de navires scientifiques, explique Hélène Leau, responsable du département océanographie. Nous programmons les campagnes que la commission juge prioritaire et les mettons en œuvre. »

Le Marion Dufresne, qui dessert Kerguelen et ses voisines, est en mission scientifique 217 jours par an. Avec ses 120 m de long, il est l’un des plus grands navires océanographiques d’Europe. « Le Marion navigue sur un océan inhospitalier, l’océan Austral, dans des conditions météo souvent très défavorables ! Sa particularité est d’être haut sur l’eau, très motorisé, avec beaucoup de redondances (deux hélices, deux safrans) en cas de panne. Si un moteur casse, l’autre fonctionne. Il dispose de beaucoup de places pour le personnel et d’une grande cale pour le matériel. »

Les carottages sous l’océan, jusqu’à 65 m dans les sédiments, sont sa spécialité. « Nous effectuons des carottages jusqu’à 6500 m de fond, poursuit Hélène Leau. Le carottier géant, à piston, permet de récupérer de grandes quantités de sédiments : leurs couches restent horizontales, dans leur configuration d’origine, et sont datées. Nous cherchons à l’améliorer en permanence, en renforçant la sécurité des opérations. Si le câble casse, le carottier reste coincé au fond et c’est une catastrophe, il coûte environ 100000 euros ! Nous cherchons aussi à augmenter la profondeur, jusqu’à 80 m, en contrôlant la tension du câble. »

Des capteurs dans l’océan

Les carottages ont souvent pour objectif de mieux comprendre l’évolution du climat. C’est le cas des campagnes régulières menées à bord par les chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement(2). Mais d’autres campagnes, regroupant plusieurs programmes, n’utilisent pas le carottier. C’est le cas du programme Oiso(3), qui se déroule durant l’été austral, avant la mi-mars : « Les chercheurs mesurent la pression partielle du CO2 dans l’eau de mer. Leurs observations enrichissent des bases de données internationales, pour étudier le réchauffement climatique. » Pour mesurer les paramètres physico-chimiques de l’eau de mer, les scientifiques utilisent des capteurs de conductivité, indiquant la salinité, la température et la profondeur. Ces capteurs CTD (Conductivity, Temperature, Depth) sont les instruments de base de l’océanographe.

Opération de mise à l'eau d'hydrophones depuis le Marion Dufresne. Ces équipements enregistrent les sons à plus de 500  m de fond. © J-Y Royer - cnrs Ipev


L’océan Austral intéresse aussi les géologues, car il est traversé par trois dorsales, qui se rejoignent au sud-ouest de La Réunion. « Chacune de ces dorsales s’ouvre à une vitesse différente, explique Jean-Yves Royer, responsable du programme Oha-sis-bio à l’Institut universitaire européen de la mer (IUEM), les plaques tectoniques s’écartent de 16 mm par an sur la plus lente à 7 cm sur la plus rapide ! » Des séismes et des éruptions sous-marines trahissent ces mouvements, mais la plupart ne sont pas perceptibles depuis la terre ferme. Il faut aller les capter directement dans l’océan, là où les vibrations se muent en ondes acoustiques !

L’équipe de l’IUEM profite des campagnes du Marion Dufresne pour aller poser ses hydrophones - des micros immersibles - dans des zones inaccessibles autrement. « Depuis 2010, nous occupons cinq sites, éloignés d’environ 1000 à 1500 km, précise Jean-Yves Royer. Cela nous suffit à couvrir une zone de près 2000000 km2. Nous immergeons nos micros entre 500 et 1300 m de profondeur, suivant les latitudes. Cette couche d’eau piège les ondes acoustiques qui s’y propagent sur près de 1000 km sans s’atténuer. » Chaque année, fin janvier, l’équipe profite des conditions plus clémentes de l’été austral et des rotations du Marion Dufresne pour aller relever ses micros. « Nous récupérons nos enregistrements, en espérant que tout ait bien fonctionné, nous changeons les piles et nous les redéployons pour une nouvelle année ! »

Le chant des baleines

En 2007, après une première campagne test, une surprise attend les scientifiques. Au milieu des grondements sourds des séismes, ils perçoivent d’autres sons, plus courts, réguliers : les cris de grands mammifères marins ! « Nous avons pu identifier plusieurs espèces de baleines : la baleine bleue antarctique, la baleine bleue pygmée de type Madagascar et celle de type sri lankais, ainsi que le grand rorqual commun. Toutes envoient des signaux dans les très basses fréquences, qui sont celles que nous enregistrons pour la géologie, mais chacune a un son très typé. C’est exceptionnel, car dans ces zones inhospitalières, il n’existe pas de moyen de les repérer, sauf à vue, ce qui est rare. » Les hydrophones des géologues, devenus de véritables pisteurs de baleines, se sont vu assigner une nouvelle mission, avec le Centre d’étude biologique de Chizé : suivre les migrations saisonnières de ces géants.

Plus récemment, parmi les milliers de sons que comportent leurs enregistrements, les chercheurs ont également identifié la provenance de longues plaintes : ce sont des icebergs qui se forment ou se disloquent. « Nous pouvons entendre les vêlages d’icebergs qui se passent à une très grande distance, sur la côte Antarctique. Ces données pourraient être utiles pour évaluer l’influence du changement climatique sur la progression de la fonte des glaces, mais cela nécessite d’acquérir des données sur plusieurs années. » En janvier, Jean-Yves Royer devrait s’envoler de nouveau vers La Réunion, pour embarquer pour une nouvelle mission, prêt à écouter d’autres secrets venus des fonds de l’océan Austral. Le Marion Dufresne, actuellement immobilisé suite à une avarie (lire encadré p.17), devra sûrement passer son tour pour cette fois.

Une avarie sur le Marion Dufresne !

Dans la nuit du 13 au 14 au novembre dernier, le Marion Dufresne (lire ci-contre) a heurté un haut fond au large de l’île subantarctique de Crozet, entraînant une voie d’eau à l’avant bâbord de sa coque. Cet accident va sans nul doute bouleverser le calendrier des campagnes scientifiques prévues à son bord. Le navire affrété par les Taaf(4) effectuait sa troisième rotation annuelle, une opération portuaire logistique au cours de laquelle il achemine vivres, matériels, carburant sur les îles, et assure également les relèves des personnels (techniques, militaires, volontaires en service civique...). Ces derniers ont été rapatriés. Le Marion Dufresne a, quant à lui, pu rejoindre Durban, en Afrique du Sud, pour être examiné. Il avait déjà connu une avarie en 2005 dans cette zone, connue pour être difficile car peu cartographiée, où il est le seul à naviguer.

Céline Duguey
www.taaf.fr
Nicolas Guillas et Céline Duguey

(1)Les huit navires hauturiers de la flotte océanographique française, utilisés par Ifremer, le CNRS, l’IRD et l’Ipev, sont l’Alis, l’Antea, L’Astrolabe, L’Atalante, Le Suroît, le Marion Dufresne, le Pourquoi pas ? et la Thalassa. Pour en savoir plus : www.flotteoceanographique.fr.

(2)LSCE : www.lsce.ipsl.fr.

(3)Pour en savoir plus : http://caraus.ipsl.jussieu.fr/oiso-accueil.html.

(4)Les Terres australes et antarctiques françaises sont une collectivité d’outre-mer comprenant l’archipel de Crozet, celui des Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie et les îles Éparses. Les Taaf affrètent le Marion Dufresne pour les missions logistiques, l’Ipev pour les missions océanographiques.

Hélène Leau Tél. 02 98 05 65 40
helene.leau [at] ipev.fr (helene[dot]leau[at]ipev[dot]fr)

Jean-Yves Royer Tél. 02 98 49 87 67
jean-yves.royer [at] univ-brest.fr (jean-yves[dot]royer[at]univ-brest[dot]fr)

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