La science dévoile son jeu

N° 316 - Publié le 13 janvier 2014
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Hommes et animaux jouent. Pourquoi ? Selon quelles règles ? Voici quelques réponses, éclairées par le jeu des primates.

Le jeu est-il le propre de l’homme ? « Non, répond sans hésitation Catherine Blois-Heulin, spécialiste de l’étude du comportement des animaux à l’Université de Rennes 1. Les animaux aussi jouent. Et quand ils jouent, cela se voit tout de suite », ajoute-t-elle en citant les primates qui se poursuivent dans les arbres, une corneille qui s’envole avec un morceau de bois, le lâche, le rattrape et recommence, ou encore une tortue devenue célèbre, observée en captivité en train de pousser un ballon avec son museau ! « Le fait d’être en captivité peut avoir un effet, mais des tortues ont aussi été observées par des plongeurs dans leur milieu naturel en train de jouer. Les primates et les oiseaux jouent beaucoup, même en liberté. Par contre, on n’a jamais observé un serpent ni une musaraigne jouer. Cela serait trop dangereux pour leur survie. » Et l’on en vient à la définition du jeu.

Avoir du temps libre !

Le premier critère est l’âge. Chez les animaux, le jeu concerne principalement les jeunes, et surtout ceux dont le développement est long, comme les primates. « Ces animaux sont maternés, c’est-à-dire qu’ils ne se préoccupent ni de chercher leur nourriture, ni de se protéger des prédateurs car ces contraintes sont assumées par les adultes. Ils ont donc du temps libre », poursuit l’éthologiste. Des adultes sont parfois vus en train de jouer : « La plupart du temps, il s’agit de mâles qui répondent aux sollicitations des jeunes, mais jamais des mères, occupées à nourrir les tout-petits. » Le jeu se caractérise aussi par le fait qu’il se compose d’enchaînements d’attitudes issues de situations de la vie quotidienne, mais ordonnées différemment : des séquences d’agression, par exemple, mais sans violence. Les primates utilisent même des vocalisations propres à l’agression, qu’ils font précéder d’un cri particulier pour prévenir qu’il s’agit d’un jeu ! Enfin, on observe aussi dans les jeux des changements de rôles : l’individu A poursuit B, puis l’inverse se produit. Âge des joueurs, jeux d’imitation, changements de rôles, seul ou à plusieurs..., on retrouve ces critères dans les jeux humains. Par contre, ils peuvent être plus élaborés. Au début du 20e siècle, le pédiatre et psychanalyste anglais Winnicott avait défini deux formes de jeu, que différencie bien la langue anglaise : le “play” qui fait référence à l’activité même de jouer en faisant appel à la créativité et à l’onirisme, et le “game” qui regroupe les jeux (objets) avec des règles construites.

On ne joue pas pour rien

Que ce soit chez l’homme ou l’animal, le jeu est utile. Il sert d’ailleurs depuis longtemps en psychologie pour étudier le développement de l’enfant. Le jeu stimule le développement physique et musculaire, la coordination des mouvements : certaines fibres musculaires grandissent à un certain moment du développement de l’enfant ou du jeune animal. En jouant, on découvre son environnement : grâce à leurs poursuites effrénées dans les branches, les jeunes primates apprennent à reconnaître celles sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour progresser sans tomber... En lâchant et rattrapant son morceau de bois, la corneille perfectionne sa technique de vol...

Développer une diversité de compétences

Enfin, les jeux sociaux stimulent les interactions entre individus. « Un groupe de primates ne jouant pas a déjà été observé, illustre Catherine Blois-Heulin. Cette absence de jeu n’a pas affecté le bon développement des jeunes mais, en revanche, leurs relations et leurs comportements sociaux étaient moins diversifiés que dans les groupes où les individus jouent. » De même, chez les humains, « Le jeu permet à l’enfant de développer une diversité de compétences (sociales, motrices, cognitives...) et de découvrir le rapport aux conventions au monde, à l’image, le “je” face aux autres. Il apprend à accepter les règles, ou à les dépasser, jouant ainsi avec les notions de ce qui est bien ou mal avec les notions de hasard, de chance, d’égalité, de présentation de soi... », complète Sandrine Depeau, chercheuse en psychologie environnementale dans le laboratoire de géographie sociale Eso-Rennes(1). C’est pourquoi le jeu ou certains ressorts du jeu sont utilisés dans l’enseignement, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte.

L’homme adulte libéré de la prédation

Dans notre société moderne, l’homme adulte s’est nettement libéré de la prédation et de la chasse. Il occupe ce temps en s’adonnant aux loisirs et en jouant. Vous pouvez donc répondre sans crainte à la sollicitation de votre petit dernier : “On joue aux petits chevaux !” C’est bon pour son développement. Parfois, le jeu devient envahissant, voire addictif. Ce phénomène concerne surtout les jeux vidéo et les jeux d’argent.

À Rennes, les traces du premier sport de masse

Rue Saint-Louis, dans   le quartier du couvent des Jacobins en pleine restructuration à Rennes, un trésor a été redécouvert en 2011 : les traces d’un jeu de paume datant du début du 17e siècle. Décrit précisément dans les archives “construit en bois et terrasse, pavé de tuiles et entouré de galeries...”, il avait été recouvert par une chapelle dans les années 1690, puis transformé en annexe de l’hôpital militaire à la Révolution. « L’intérêt patrimonial de la chapelle avait été repéré, mais personne ne s’attendait retrouver la salle du jeu de paume ! », s’enthousiasme Gauthier Aubert, historien à l’Université Rennes 2 et spécialiste de l’histoire et du patrimoine de Rennes(2).

Le jeu de paume a été le premier grand jeu urbain, un des premiers sports de masse, dont l’apogée se situe entre le 15e et le 17e siècle. Délaissée par l’élite, cette véritable passion française s’est effondrée. Si le jeu a laissé des traces dans la langue “rester sur le carreau”, “épater la galerie”..., les vestiges des bâtiments sont plus rares. D’où la démarche de la ville de Rennes pour une protection au titre de monument historique.

Gauthier Aubert
gauthier.aubert@uhb.fr
Nathalie Blanc

(1)Espaces et sociétés - UMR CNRS 6590, Université Rennes 2.

(2)Lire article Rue Saint-Louis - Le jeu de paume perdu et retrouvé dans Place Publique, n° 21, janvier - février 2013.

Catherine Blois-Heulin Tél. 02 99 61 81 65
Catherine.Blois-Heulin [at] univ-rennes1.fr (Catherine[dot]Blois-Heulin[at]univ-rennes1[dot]fr)

Sandrine Depeau Tél. 02 99 74 20 96
sandrine.depeau [at] univ-rennes2.fr (sandrine[dot]depeau[at]univ-rennes2[dot]fr)

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