La mousson : une vieille dame sensible à l’effet de serre

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N° 326 - Publié le 4 décembre 2014

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Des scientifiques ont reculé de quinze millions d’années l’âge des moussons, et établi leurs liens avec le climat de notre planète.

De mémoire d’éléphant, elle a toujours existé. La mousson, qui apporte ses pluies diluviennes sur une partie de l’Asie en été et ses vents glacés en hiver, est, de fait, très ancienne. On pensait jusque-là que ce phénomène datait d’il y a 25 millions d’années, avec l’élévation du massif himalayen. Un géologue de Rennes, avec des collègues français et étrangers, vient de reculer l’âge des moussons à 40 millions d’années ! Et surtout, en mettant en commun leurs travaux, ils ont pu montrer, dans une publication parue dans Nature(1), des relations encore inconnues entre les moussons, la géologie et l’histoire du climat de notre planète.

Le climat laisse des traces

« En 2009, juste après ma thèse, j’ai eu la chance de découvrir un affleurement de sédiments très particulier aux alentours de Xining, en Chine, au pied du plateau tibétain », explique Guillaume Dupont-Nivet, chercheur au laboratoire Géosciences(2). Sur près de 800 m de haut, des argiles rouges et des gypses blancs se succèdent régulièrement (photo). Assez rapidement, le géologue constate que ces alternances correspondent aux différents cycles d’insolation de notre planète. En prélevant de nombreux échantillons sur le site, il décèle aussi des changements liés à la formation de la calotte glaciaire antarctique, survenue il y a 34 millions d’années. « Cela a confirmé que ces enregistrements géologiques étaient sensibles au climat. » Grâce à la magnéto-stratigraphie, une méthode qui s’appuie sur la connaissance des inversions du champ magnétique terrestre, les échantillons ont été datés : les plus vieux atteignaient 43 millions d’années !

À la même époque, le géologue trouve les traces de deux événements déterminants pour l’existence des moussons, car ils ont augmenté les différences de températures entre les vents des terres et ceux des mers. « D’une part le soulèvement du plateau tibétain. De l’autre, le retrait d’une mer ancienne, qui partait de la Méditerranée jusqu’au nord-ouest de la Chine. À partir de là, j’ai supposé que les moussons étaient plus anciennes que ce que l’on pensait. Mais il fallait des preuves physiques ! » Ces preuves, le géologue va les trouver en observant en détail ses échantillons. Il y trouve des grains de quartz qui semblent avoir été abrasés par le vent, ce qui leur donne une morphologie toute particulière. Exactement comme ceux, plus récents, que l’on retrouve sur le plateau de Lœss, situé à quelques centaines de kilomètres. Ce plateau a été formé par les dépôts éoliens apportés par les tempêtes de sable caractéristiques des moussons d’hiver. « Mes sédiments eux-aussi avaient été amenés ici par les tempêtes d’hiver, il y a 40 millions d’années. »

L’histoire aurait pu s’arrêter là, si Guillaume Dupont-Nivet n’avait pas rencontré Alexis Licht, collègue géologue, lors d’un colloque à San Francisco. « Alexis avait trouvé des traces de moussons d’été en Birmanie, datant de la même époque. C’était donc cohérent. »

Des crocodiles au pôle Nord

Sur des modèles informatiques capables de reproduire les climats passés, les scientifiques ont testé différents facteurs. À l’époque, l’Himalaya n’est pas encore le sommet du monde et ne suffit pas à tout expliquer. Par contre, « nous sommes juste avant la glaciation de l’Antarctique, c’est une période très chaude. Il n’y a plus de dinosaures, mais on trouve encore des crocodiles et des palmiers au pôle Nord ! » Dans les modèles, les moussons apparaissent lorsque le taux de CO2 est trois fois plus élevé qu’avant l’industrialisation du 19e siècle. « Cela correspond aux taux de cette époque. Et cette sensibilité des moussons à l’effet de serre - une réelle découverte - a été confirmée lorsque nous avons regardé le refroidissement qui suit : il correspond à une baisse du taux de CO2 et les modèles indiquent alors une diminution des moussons. Or, c’est bien ce que nous avons vu dans nos échantillons ! » Aujourd’hui, le géologue plonge encore un peu plus dans le passé. « Pendant les périodes chaudes, il y a des pics encore plus chauds ! Et là les taux de CO2 explosent. Puisque nous vivons aujourd’hui des variations extrêmes du taux de CO2, c’est intéressant de regarder des variations semblables et leurs conséquences dans le passé ! » Pour anticiper l’avenir des moussons.

Céline Duguey

(1)Asian monsoons in late Eocene greenhouse world, doi:10.1038/nature13704.

(2)CNRS/ Université de Rennes 1 (UMR 6118 de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes.

Guillaume Dupont-Nivet
guillaume.dupont-nivet [at] univ-rennes1.fr (guillaume[dot]dupont-nivet[at]univ-rennes1[dot]fr)

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