Plusieurs corps à soigner
Le corps ne parle pas toujours avec des mots, surtout quand il est malade. Des chercheurs développent cette écoute.
Parfois, malgré un traitement antidouleur très fort, un patient peut se plaindre d’énormes souffrances. Que se passe-t-il ? Le patient dit-il la vérité ? Comment peut/doit réagir le personnel soignant face à cette souffrance ? « Notre objectif est de prendre en charge le langage du patient et du soignant, explique Jean-Luc Gaspard, enseignant-chercheur en psychopathologie à l’Université Rennes 2(1) et psychanalyste. Dans le monde médical moderne, on réalise beaucoup d’actes techniques. On peut tout voir, tout savoir, mais on ne parle plus. » Et c’est justement de ce corps parlant, peu écouté, dont Jean-Luc Gaspard cherche à s’occuper (lire ci-contre sa définition du corps en trois dimensions). La difficulté est que ce langage ne se manifeste pas toujours par des paroles. Le corps peut s’exprimer d’autres manières et surtout à l’insu du sujet, comme dans l’exemple de cette douleur.
Faire entrer le subjectif à l’hôpital
Avec un groupe de travail pluridisciplinaire composé de médecins, psychologues, et en partenariat avec des hôpitaux (celui de Rennes, mais aussi avec des équipes brésiliennes), Jean-Luc Gaspard cherche à mettre en place des dispositifs d’accompagnement qui prennent en compte cette dimension subjective à l’hôpital. Quelle est la place du corps, le sujet est-il pris en compte ? Les pratiques médicales contemporaines ont-elles modifié la place du sujet ?
Outre la douleur, leur approche s’applique dans d’autres contextes comme : le deuil parental(2) (est-ce que le choix du lieu de décès de leur enfant facilite ou non le travail de deuil ?) ou les conséquences subjectives de la procréation médicale assistée. Ces travaux de recherche qualitative s’effectuent sur de petits échantillons de personnes.
« L’environnement technoscientifique modifie le rapport du sujet à son corps. Par exemple, il favorise la toute-puissance du sujet. Celui-ci peut, grâce à la technique, revendiquer le droit à l’enfant avec la procréation médicale assistée, le droit à ne pas souffrir, grâce aux centres antidouleur... » Les différentes voix(es) du corps doivent être écoutées.
Nous avons trois corps
L’homme s’est construit depuis des siècles sur une approche et une représentation duale : le corps et l’esprit.
Ces deux-là cohabitent plus ou moins bien, tantôt de manière dissociée ou finement liés. Dans ses travaux et ses pratiques, Jean-Luc Gaspard, enseignant-chercheur en psychopathologie à l’Université Rennes 2(3) et psychanalyste, préfère un schéma plus complexe basé sur trois dimensions : le corps réel (organisme), l’imaginaire (qui renvoie en partie au moi), et le corps symbolique (du fait de notre condition d’être parlant).
« À la naissance, nous n’avons pas de corps mais des bouts de corps, morcelés, explique-t-il. Ce sont les soins primaires, dont les mots, prodigués à l’enfant qui permettent de le construire. » Quand tout va bien, ces corps sont noués, associés. Mais quand la maladie survient, il peut y avoir dissociation et besoin de réduire l’écart entre le sujet et son corps.
(1) Directeur de la composante Recherches en psychopathologie : champs et pratiques spécifiques, EA 4050.
(2) Des entretiens de recherche sont en cours avec des familles, cinq ans après le décès de leur enfant. Travaux de Caroline Doucet, du même laboratoire.
(3) Directeur de la composante Recherches en psychopathologie : champs et pratiques spécifiques, EA 4050.
Jean-Luc Gaspard
jean-luc.gaspard [at] univ-rennes2.fr (jean-luc[dot]gaspard[at]univ-rennes2[dot]fr)
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