Un fossile de mammifère au milieu du marécage
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Ce fossile n’est pas seulement le premier mammifère trouvé sur le site espagnol de Las Hoyas, entre Valence et Madrid. Les traces de tissus biologiques qu’il comporte révèlent des informations inédites.
À côté du pied de dinosaure(1) découvert sur le même site en 2008, ce fossile de mammifère d’une vingtaine de centimètres n’est pas très impressionnant... Et pourtant, il n’a pas fini de faire parler de lui : c’est le premier mammifère mis au jour sur le gisement de Las Hoyas en Espagne, depuis l’ouverture du site il y a 30 ans, parmi des dizaines de milliers de fossiles de plantes, de poissons, d’amphibiens, de lézards, de crocodiles, d’oiseaux et de dinosaures(2). Découvert en 2011, il a fait l’objet d’une publication parue dans Nature le 15 octobre dernier(3), dont Romain Vullo, chargé de recherche CNRS au laboratoire rennais Géosciences(4), est cosignataire. Le site de Las Hoyas est en effet particulièrement riche.
Cet ancien marécage du crétacé inférieur (- 125 millions d’années) se trouve aujourd’hui dans une pinède en pleine montagne près de Cuenca (entre Valence et Madrid), où des trouées de quelques mètres carrés permettent ici et là d’avoir accès à des affleurements de calcaire laminé. « Les plaques de calcaire se détachent facilement et les fossiles apparaissent », décrit Romain Vullo.
Squelette de Spinolestes xenarthrosus. Barre d'échelle : 1 cm. G. Oleschinski
Trace de l'arrondi de l'oreille. G. Oleschinski
À gauche, détail des petites "protoépines" présentes dans le bas du dos de Spinolestes xenarthrosus. Barre d'échelle : 1 cm.
À droite, détail des restes pulmonaires (brochioles) préservés dans la cage thoracique de Spinolestes xenarthrosus. Barre d'échelle : 1 cm.
Des poils, de la peau
Coulé dans une résine époxy translucide puis dégagé du calcaire, le squelette a commencé à livrer ses secrets. Le premier coup d’œil est déjà flatteur : Il est quasiment complet et articulé - on peut suivre parfaitement la colonne vertébrale, seule la tête s’est décrochée et est légèrement déplacée. Les paléontologues ont ensuite utilisé une loupe binoculaire qui a révélé des traces de tissus biologiques du système tégumentaire : poils, épines et peau. Au microscope électronique à balayage, à des échelles de 200 et 50 µm, ils sont même arrivés à distinguer les pores de la peau et des kératinocytes (cellules de peau polygonales) organisés de la même façon que chez les mammifères actuels, et aussi les follicules composés à la base des poils. « On a réussi à déduire que les épines dont il est pourvu, et qui lui valent son nom : Spinolestes(5), sont le résultat de l’association d’un poil primaire et de plusieurs poils secondaires, un peu comme chez le hérisson actuel. Alors que chez certains rongeurs, les épines sont le résultat de la modification d’un seul poil. » Les chercheurs ont balayé ainsi tout le squelette et pu reconstituer le pelage sur tout le corps de l’animal : des poils longs et denses comme une crinière à la base du cou ; des poils plus longs au-dessus de la colonne vertébrale et des épines millimétriques dans le bas du dos.
Une oreille apparaît
Spinolestes appartient à une lignée de mammifères, les eutriconodontes, qui n’a pas de représentants actuels mais qui était très importante au jurassique et au crétacé. Leurs fossiles étaient déjà bien connus des paléontologues depuis le milieu du 19e siècle, mais jamais ils n’avaient été découverts avec des traces de poils et de peau, permettant de réaliser une description aussi détaillée de l’animal. Nous avons même observé une tache rougeâtre qui devait être le foie ! Et les surprises continuent : la tête s’est décrochée, mais la trace du scalp est toujours visible à proximité du cou, près duquel un arrondi se dessine... « Avec un de mes collègues, on a tout de suite pensé à une oreille, raconte Romain Vullo. Mais les autres restaient sceptiques... Finalement, l’hypothèse a été confirmée : on a identifié des morceaux de peau à la loupe binoculaire. »
Des poumons fossilisés
Enfin, le plus spectaculaire est peut-être la découverte de restes de poumons. « Nous avons fait beaucoup de recherches bibliographiques dans des revues de biologie et d’anatomie pour comparer la forme des réseaux de poumons avec celle des structures que nous observions entre les côtes de notre fossile. Et il n’y a pas de doutes possibles. Nous pensons que l’animal s’est noyé. De l’eau est entrée dans ses poumons et un élément minéral a précipité à l’intérieur, ce qui a conduit à un moulage naturel des bronchioles. » C’est la première fois, toutes espèces confondues, que des poumons fossilisés sont retrouvés ! « L’observation des poumons jumelée avec celle du foie nous a permis de positionner entre ces deux organes le diaphragme, qui est un élément très important chez les mammifères. » Un vrai travail de biologistes !
L’enquête minutieuse des paléontologues continue. « Nous souhaitons maintenant approfondir nos recherches sur chacun des points : les poils, les poumons... », précise Romain Vullo. En attendant, un ouvrage (en anglais) couvrant la géologie et toutes les découvertes paléontologiques du gisement de Las Hoyas est prévu pour le printemps 2016. Programmée initialement en 2011 pour le 25e anniversaire du site, la sortie décalée permet d’y inclure, in extremis, Spinolestes, le seul mammifère de la bande !
(1) Un pied d’iguanodon, grand dinosaure herbivore qui vivait à la même époque.
(2) Lire Un nouveau ptérosaure découvert ! dans Sciences Ouest n° 301 - septembre 2012.
(3) A Cretaceous eutriconodont and integument evolution in early mammals. Thomas Martin, Jesús Marugán-Lobón, Romain Vullo, Hugo Martín-Abad, Zhe-Xi Luo & Angela D. Buscalioni. Nature, le 15 octobre 2015. doi:10.1038/nature14905.
(4) De L’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes.
(5) De spina qui veut dire épine en latin.
Romain Vullo
tél. 02 23 23 54 14
romain.vullo [chez] univ-rennes1.fr (romain[dot]vullo[at]univ-rennes1[dot]fr)
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