Des bons verres pas chers !
Mathieu a développé un procédé plus performant de fabrication des verres transparents aux rayons infrarouges.
Prix Lumière Mathieu Hubert n’est pas un souffleur de verre, mais presque. Pendant sa thèse(1) réalisée entre 2009 et 2012, il a développé une nouvelle méthode de fabrication des verres. Mais pas n’importe quels verres. Ceux-là permettent de mieux voir dans la nuit que les verres classiques, car ils laissent passer beaucoup plus de rayons infrarouges. Pourquoi ? Parce qu’ils ne contiennent pas d’oxygène. En revanche, leur composition est basée sur un autre élément de la famille des chalcogènes : le soufre, le sélénium ou le tellure. Ces verres dits de chalcogénures sont la spécialité de l’équipe Verres et céramiques de l’Institut des sciences chimiques de Rennes, dont Mathieu Hubert faisait partie pendant sa thèse. Utilisés depuis les années 1980 pour les lentilles des caméras thermiques des militaires notamment, les verres de chalcogénures requièrent une technologie de fabrication très complexe, coûteuse, chronophage et énergivore. « Il s’agit de la fonte, sous vide et à 900 °C, d’une ampoule de silice contenant la matière première dont les chalcogènes, explique le jeune chercheur. Les contrôles sont nombreux pour éviter les contaminations en oxygène notamment. » Délicate à mener, la procédure peut prendre jusqu’à trois jours pour obtenir, in fine, des barreaux de verre de taille limitée.
Broyer les éléments
L’objet de la thèse de Mathieu Hubert était de trouver des procédés alternatifs pour fabriquer des verres et des vitrocéramiques (matériaux cristallisés qui résultent d’une recuisson prolongée et contrôlée du verre) de chalcogénures. Après plusieurs essais, une méthode s’est révélée plus concluante que les autres : la mécanosynthèse. Il ne s’agit plus de synthèse par fonte mais par réaction sous impulsions mécaniques. Les éléments, insérés dans un broyeur, s’entrechoquent, ce qui suffit à provoquer une réaction en quelques heures. L’opération est réalisée sous atmosphère contrôlée. La poudre de verre obtenue possède les mêmes caractéristiques que le verre issu de la fonte. Elle est ensuite mise en forme par frittage très rapide à 400 °C pour assurer une densification fiable du verre.
« Le frittage consiste à chauffer une poudre sans atteindre le point de fusion. Les grains vont alors se souder entre eux. » Ainsi, le matériau est prêt en deux minutes. « Et il suffit de prolonger le frittage de 30 minutes pour former de la vitrocéramique », ajoute l’ancien thésard. La résistance mécanique et thermique de ce matériau est plus importante que celle du verre. Mais la présence de cristaux augmente l’opacité optique. Tout le défi était donc d’obtenir un bon compromis entre solidité et transparence à l’infrarouge.
« Les premiers résultats ont démontré la faisabilité de nos nouvelles méthodes de fabrication. Elles ont d’ailleurs été brevetées. L’avantage est déjà significatif puisque l’on diminue fortement la proportion de consommables (les ampoules de silice) et la consommation d’énergie. Mais la mécanosynthèse peut être améliorée : elle prend encore trop de temps et des contaminations par l’oxygène subsistent. » Outre le développement d’un nouveau procédé de fabrication, Mathieu Hubert a cherché à améliorer les propriétés optiques des verres et des vitrocéramiques de chalcogénures.
À la base, ces matériaux n’émettent pas d’ondes infrarouges, ils les laissent juste passer. Mais certains éléments chimiques comme les terres rares (erbium, dysprosium...), ajoutés en très faible quantité, leur confèrent la capacité d’absorber la lumière et d’émettre en retour des ondes infrarouges.
Dopage énergisant
« Selon la composition utilisée, les vitrocéramiques ainsi dopées peuvent être mille fois plus efficaces que les verres dopés dont elles sont issues, précise le jeune chercheur. Sur cet aspect, j’ai particulièrement étudié les vitrocéramiques à base de sélénium, car elles n’avaient pas encore été explorées. » Le dopage par les terres rares n’est cependant efficace que si le verre et la vitrocéramique sont très purs. La mécanosynthèse n’étant pas suffisamment aboutie, Mathieu Hubert a réalisé ses tests à partir de la méthode classique par fonte.
« Avec le sélénium, on obtient des vitrocéramiques sept fois plus efficaces que le verre en émission d’ondes infrarouges. C’est déjà important ! » D’ailleurs, la recherche se poursuit actuellement au sein de l’équipe Verres et céramiques pour optimiser les technologies développées...
« Le verre est fascinant... il est partout »
Lauréat : Mathieu Hubert
« Le verre est facile à mettre en forme. Il est fascinant car on peut en faire beaucoup de choses : lentilles, fibres optiques, couches minces... il est partout sans même qu’on s’en rende compte », dit Mathieu Hubert. Sa passion de jeune chercheur est née un peu par hasard : « Après le bac, j’étais attiré par les sciences, j’ai donc suivi l’IUT de chimie de Rennes, puis une licence 3 à Beaulieu sans trop savoir où j’allais. Et puis il s’est trouvé que le créateur de l’équipe de recherche Verres et céramiques était le père d’un ami. Un été, il cherchait de la main d’œuvre pour tester les verres de chalcogénures, j’y ai fait mon premier stage et ça m’a beaucoup plu. Après mon master orienté recherche, j’ai rejoint l’équipe pour faire ma thèse. » Aujourd’hui, Mathieu Hubert travaille à Eindhoven (Pays-Bas), dans l’entreprise CelSian Glass & Solar. « Je fais de la recherche appliquée pour répondre aux demandes des industriels et optimiser leurs technologies. » Cette fois, il ne s’agit plus d’optique infrarouge mais de verres plus classiques du même type que celui des bouteilles.
« Ce n’est pas un domaine anodin pour autant », souligne-t-il. Les challenges sont nombreux pour optimiser les procédés, tant sur le choix des matières premières que sur la réaction pendant la fonte ou encore sur la mise en forme. Intéressé par la transmission des savoirs, Mathieu Hubert est aussi le coordinateur d’un programme qui contribue à la promotion de la technologie verrière et à la formation des futurs chercheurs en la matière, au sein d’un consortium de compagnies verrières.
(1) Dirigée par Laurent Calvez, récompensé par le Prix Bretagne jeune chercheur en 2011, Xiang Hua Zhang, directeur du laboratoire Verres et céramiques, et Pierre Lucas, de l’Arizona Materials Lab (University of Arizona, USA).
Mathieu Hubert
tél. 0031 646 340 683
mathieu.hubert@celsian.nl
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