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Les bactéries sont nos amies

N° 338 - Publié le 17 février 2017

Responsables de l’identité des aliments fermentés, les bactéries d’intérêt agroalimentaire méritent d’être connues.

Elles sont responsables de l’acidité d’un yaourt, du goût de noisette du comté et des odeurs plus fortes d’autres fromages, des trous dans l’emmental, des arômes d’un vin, d’une bière et aussi des olives ! Invisibles à l’oeil nu, celles que l’on appelle les bactéries d’intérêt agroalimentaire régalent nos papilles depuis des milliers d’années ! Longtemps utilisées et transmises de manière empirique, elles sont aujourd’hui de mieux en mieux connues et font l’objet de toute l’attention des chercheurs et des industriels qui les exploitent. Tout d’abord, elles sont protégées. Extrêmement nombreuses, elles font partie de la biodiversité de la planète au même titre que les macroorganismes (végétaux et animaux). C’est pourquoi depuis 1999, l’OCDE (1) incite les laboratoires à en prendre soin. « C’est comme cela que sont nés les Centres de ressources biologiques (CRB) dédiés aux microorganismes, explique Florence Valence-Bertel, chercheuse au laboratoire Science et technologie du lait et de l’oeuf (STLO) (2) à l’Inra de Rennes. Avant à l’Inra, on trouvait des petites collections dans presque tous les laboratoires, entretenues avec des pratiques différentes et sans vraiment de moyens dédiés. En 2005, grâce à la création du Centre international de ressources microbiennes (Cirm), l’Inra a organisé ses ressources microbiennes pour mieux les valoriser et les rendre visibles. Le Cirm est composé de cinq entités, chacune dédiée à un type de microorganisme et bénéficiant de moyens propres et d’une taille suffisante pour les conserver dans de bonnes conditions. Je suis responsable de l’entité rennaise, dédiée aux bactéries d’intérêt alimentaire (3) : le Cirm-BIA. »

 

4000 souches dans les frigos

Aujourd’hui, pas moins de 4000 souches bactériennes sont conservées dans trois congélateurs qui se trouvent au sous-sol du laboratoire rennais (voir photos), ce qui est deux fois plus qu’en 2005. L’enrichissement de la collection est un objectif que les chercheurs remplissent grâce à des partenariats ou des projets de recherche, à l’occasion du rapatriement de collections isolées ou bien encore dans le cadre de collectes ciblées. « Les produits dits traditionnels, fabriqués dans des conditions très spécifiques sont particulièrement intéressants pour les collectes de nouveaux microorganismes, poursuit Florence Valence-Bertel. Par exemple, dans la fabrication du cantal une cuve en bois appelée la gerle est utilisée. Il s’y développe un biofilm de bactéries particulier constitué entre autres de bactéries lactiques, directement liées à l’essence de bois, mais aussi aux conditions extérieures, température, humidité... et de manipulations. Tous ces paramètres constituent un environnement unique qui fait que le cantal est ce qu’il est, et pas autre chose. » C’est pour tenter de caractériser l’environnement propre à la production du lait dans une ferme de son pays qu’une doctorante brésilienne est venue passer un an à Rennes (4). « Le but de sa thèse était de caractériser les prélèvements réalisés partout dans la ferme : dans l’étable, dans le foin, la salle de traite... pour avoir une idée des flux de microorganismes durant tout le processus de production du lait et déterminer ceux que l’on retrouve, au final, dans le lait utilisé ensuite pour la fabrication de fromages traditionnels. » Les souches ainsi récoltées (près d’une centaine (5)) propres aux laits brésiliens sont conservées à Rennes, au Cirm-BIA.

 

Préserver, partager et valoriser

En plus de la collecte de nouveaux organismes et de leur préservation, les Centres de ressources biologiques ont aussi pour mission de donner accès à ces collections et de favoriser leur valorisation, auprès des industriels notamment, selon des règles définies par le Protocole d’accord de Nagoya (2010-2014). Les souches prélevées au Brésil peuvent, par exemple, être conservées au Cirm-BIA de Rennes pour les besoins de la recherche, mais leur utilisation et leur valorisation dans la fabrication d’un produit par un industriel français devront absolument faire l’objet d’une demande au pays d’origine, dans le cadre de l’accès au partage des avantages. Car c’est un peu du Brésil qui serait alors exploité en France.

 

Du fromage au pain et au vin

Les activités du laboratoire STLO sont historiquement axées sur le lait et ses dérivés (et l’oeuf). Depuis la création du CRB, elles s’ouvrent petit à petit à d’autres produits comme les pains au levain (lire article cidessous) et le vin ! Florence Valence-Bertel et son équipe participent actuellement à une collecte de moûts de raisins français (6). « Les aliments fermentés représentent 30 % de notre diète, rappelle-t-elle. Et ils bénéficient actuellement d’un regain d’intérêt car leur mode de conservation est durable : c’est toute la différence entre du lait frais et un fromage ! De nouveaux produits apparaissent aussi. Nous avons par exemple travaillé sur des yaourts à base de riz ou de sarrasin fermenté. » Et quand ils ne participent pas à l’élaboration des arômes ou des trous, les microorganismes peuvent révéler des propriétés inattendues : être antifongiques, c’est-à-dire capables de lutter contre le développement d’autres microorganismes tels que les champignons filamenteux (lire p. 14-15), ou même bénéfiques pour la santé (lire p. 17). Ces bactéries sont décidément de précieuses alliées.

 

Quand ça fermente...

L’expression « ça fermente » n’a pas que des connotations positives... On pense à la production d’odeurs, à une absence d’air, à de la décomposition... La fermentation, c’est un peu tout ça ! C’est avant tout une réaction biochimique qui se déroule, en l’absence d’oxygène, entre un produit organique (souvent du glucose) et une autre source d’énergie, et qui aboutit à la dégradation partielle du produit initial. Dans les muscles, par exemple, la fermentation lactique est le signe que les fibres musculaires ne sont plus assez oxygénées et provoque des crampes. La fermentation est aussi le moyen dont disposent certains microorganismes : bactéries et levures quand la respiration n’est plus possible, pour continuer à croître dans un milieu pauvre ou sans oxygène. C’est un phénomène naturel, qui se produit quand la matière organique se décompose et que l’homme a appris à maîtriser, notamment pour son alimentation (sujet de ce dossier). Mais pas seulement : dans un fermenteur, la dégradation des déchets organiques produit du gaz et de la chaleur qui sont valorisés en énergie.

NB
Nathalie Blanc

(1) Organisation de coopération et de développement économiques.
(2) Science et technologie du lait et de l’oeuf. UMR 1253 Inra/Agrocampus Ouest, Rennes.
(3) Les quatre autres centres de ressources sont basés à Angers (bactéries dédiées à la protection des végétaux), Tours (bactéries pathogènes), Paris-Grignon (levures alimentaires), Marseille (champignons filamenteux).
(4) Livia Pinheiro a soutenu sa thèse en 2015.
(5) Des publications sont en cours de soumission.
(6) ANR PeakYeast.

Florence Valence-Bertel
02 23 48 53 23
Florence.Valence-Bertel@rennes.inra.fr

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