DOSSIER
Philip Plisson

Innover pour mieux pêcher

N° 339 - Publié le 25 août 2016

Pour que la pêche ait un avenir, encore plus durable et responsable, il est urgent d’inventer les navires de demain.

Première région française de pêche, la Bretagne concentre 28% des emplois du secteur et plus de 40% de la flottille nationale. Dans ses ports, cohabitent des bateaux adaptés aussi bien à la grande qu’à la petite pêche, à la pêche au large ou côtière. Aussi différents soient-ils, ces navires ont un point commun : ils ont en moyenne 28 ans, ce qui est vieux pour un usage professionnel.

Un renouvellement essentiel

« Au problème du vieillissement de la flottille, s’ajoutent les contraintes imposées par les quotas par espèces et plus récemment par les restrictions des zones de pêche, la réglementation européenne et la baisse du prix de vente du poisson (payé au pêcheur), souligne Maurice Benoish, président-directeur général de la Société d’économie mixte Lorient-Keroman. Il y a 20 ans, 70000 tonnes de poissons étaient débarquées par les navires du port de Lorient, contre 15000 tonnes aujourd’hui. Alors que dans le même temps, la consommation des produits de la mer est passée de 7 kg à 35 kg par an et par habitant ! Aussi, pour maintenir la compétitivité de la filière dans ce contexte socio-économique complexe, tout en veillant à ne pas augmenter la pression de pêche et à préserver la ressource durablement, il est essentiel de construire des bateaux modernes et innovants. » Plusieurs projets de navires du futur ont ainsi émergé ces dernières années, aspirant tous à répondre à trois enjeux principaux : faire des économies d’énergie, améliorer les conditions de vie et de travail à bord et optimiser la valorisation des produits de pêche.

Un laboratoire de pêche

Initié en 2011 par l’association France pêche durable et responsable (FPDR) et ses nombreux partenaires, le projet européen Fish2EcoEnergy(1) a pour vocation de transformer La Frégate III, un ancien chalutier de 22,50 m, en un navire démonstrateur disponible pour la recherche et l’expérimentation de technologies innovantes. « Au début, nous voulions l’équiper d’un moteur électrique alimenté au gaz. Mais les délais et les coûts qu’induisaient les études réglementaires nous ont contraints à nous rabattre sur un moteur hybride diesel-électrique », déplore Jacques Bigot, président fondateur de l’association FPDR avant de souligner que « si cette nouvelle motorisation leur a permis de réaliser 22% d’économies d’énergie, ils poursuivent, en collaboration avec les instances de certification, les études sur l’implantation de gaz pour remplacer le diesel. »

En partenariat avec l’Ifremer, différents engins de pêche font également l’objet, à bord de ce navire, d’expériences en conditions réelles. « Nous avons, par exemple, testé des nasses à poissons qui pourraient être utilisées soit en complément du chalut, soit là où ce dernier est interdit comme dans les aires marines protégées ou les champs d’éoliennes », illustre Jacques Bigot. Ayant révélé une tendance à s’écraser dans les courants forts, leur structure devra encore être adaptée. » Parmi les autres équipements testés, les panneaux de chalut décollés, lesquels frottent moins sur le fond, ont, quant à eux, permis des économies de carburant de 20% tout en préservant les fonds marins.

Le 29 septembre dernier, à Lorient, était baptisé le Jean-Pierre Le Roch, le dernier-né de la Scapêche, l’armement de pêche du groupement des Mousquetaires.

« Il aura fallu 5 ans et 8,5 millions d’euros pour concevoir et construire ce nouveau chalutier long de 42 m, selon un cahier des charges centré sur la polyvalence de pêche et l’amélioration des conditions de travail et de vie de l’équipage », souligne Yves Le Perron, architecte naval du cabinet Coprexma de Pont-l’Abbé, chargé de la conception du navire. Selon les espèces ciblées, les lieux de pêche et la réglementation, il doit en effet pouvoir tracter ses chaluts à des profondeurs oscillant entre 150 et 800 m, dans des mers parfois déchaînées.

« Aussi pour optimiser sa tenue à la mer, nous avons intégré un bulbe sur son étrave ainsi qu’un stabilisateur passif sur l’arrière du bateau », décrit-il. Le bulbe agit en créant un champ de vagues à l’avant du bateau qui vient se superposer au champ normal de vagues généré par le bateau en route ; en plus de réduire la résistance à la vague du bateau et donc sa consommation, il atténue les effets de tangage (mouvement avant arrière du bateau). Le stabilisateur passif permet, grâce à une cuve à moitié remplie d’eau, de limiter les effets de roulis. Le simple déplacement de la masse d’eau freinée par un diaphragme suffit en effet à amortir le mouvement d’oscillation latérale du navire. Autant de dispositifs qui, ajoutés à la forme optimisée de la coque et à un antifouling plus efficace, offrent au Jean-Pierre Le Roch une consommation de carburant inférieure de 33 % à celle des deux navires de 33 m désarmés qu’il remplace désormais.

Faciliter le travail à bord

De la réduction du bruit à la taille des vestiaires, l’ensemble de l’architecture du Jean-Pierre Le Roch a été pensé pour améliorer les conditions de vie des marins, mais aussi faciliter leurs tâches à bord. « Nous avons, par exemple, aménagé sur le pont un accès direct à la cambuse où sont stockés les vivres. Des systèmes de tapis roulants et de palettes extractibles à l’aide d’une grue ont également permis de faciliter le transport des 3500 caisses à poissons nécessaires pour une marée », ajoute Yves Le Perron.

Construire de tels bateaux de pêche plus sobres en carburant et en entretien, plus sûrs et plus confortables est certes un levier pour réaliser d’importantes économies à long terme, mais c’est aussi un moyen d’inciter les jeunes à rejoindre la filière qui a vu ses effectifs chuter de 14% entre 2004 et 2014(2).

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