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Aquaculture : quels enjeux ?

N° 344 - Publié le 13 septembre 2016

En progression constante dans le monde, souvent décriés en France, les systèmes d’aquacultures méritent d’être re(connus).

Un premier cap a été passé en 2012 : le volume mondial de produits issus de l’aquaculture a atteint 90 millions de tonnes (qui se décomposent en 24 millions de tonnes d’algues et 66 millions de tonnes de poissons et mollusques), dépassant ainsi pour la première fois celui de la pêche (80 millions de tonnes). En 2015, un deuxième cap historique a été franchi : le volume mondial de poissons et mollusques cultivés et destinés à l’alimentation humaine a fini par dépasser celui de la pêche. Cette dernière stagne depuis une dizaine d’années, malgré les évolutions opérées sur les engins et les pratiques de pêche. L’aquaculture apparaît donc comme le relais pour alimenter la population mondiale croissante et demandeuse : la part du poisson dans la consommation humaine est passée de 70 % dans les années 70 à plus de 85 % en 2012(1). « D’ici à 2050, il faudra trouver près de 50 millions de tonnes supplémentaires de produits aquatiques. Personne n’imaginerait chasser des bovins sauvages pour se nourrir ! L’acceptation de l’aquaculture représenterait la dernière étape de transformation des chasseurs-cueilleurs et marquerait la fin du processus de néolithisation », s’amuse Richard Le Boucher, responsable aquaculture au sein du groupe IMV Technologies(2). 

Une production très chinoise

Actuellement, c’est en Asie que tout se passe et plus particulièrement en Chine qui, à elle seule, assure 60 % de la production aquacole mondiale, alors que l’Europe fait figure de lilliputien avec 4,3 %. La filière française, bien qu’assez minuscule comparée à l’agriculture, occupe quand même

la seconde place européenne après l’Espagne : en 2010, elle s’élevait environ à 200000 tonnes de coquillages, poissons, algues et caviar, assurée par près de 4500 entreprises et 12000 équivalents temps plein. Elle génère un chiffre d’affaires global d’un peu moins de 700 millions d’euros. En Bretagne, comme ailleurs en France, l’ostréiculture, la mytiliculture et la truiticulture sont les activités dominantes.

Les réticences françaises

Mais alors que l’accélération de la production aquacole, entamée dans les années 1970, perdure actuellement dans le monde et que la demande des consommateurs français en poissons et mollusques est en constante progression, le secteur aquacole stagne depuis 1990 dans notre pays. Pour des raisons foncières (lire p. 18) et d’acceptabilité : l’aquaculture n’a pas bonne presse auprès des Français. « Beaucoup décrient le principe même de l’aquaculture, car ils associent de façon systématique ce secteur à une mauvaise régulation, une généralisation de l’utilisation des antibiotiques, une pollution visuelle ou une surexploitation de la pêche minotière(3) », poursuit Richard Le Boucher. Cette dernière étant une fausse idée reçue car 70 % de l’alimentation de nombreuses espèces de poissons d’élevage est déjà d’origine végétale. Les producteurs français peuvent être très fiers de la qualité de leurs produits. Ils sont un modèle pour de nombreux pays. »

Exportés, les œufs de truites !

En effet, la France ne manque pas d’atouts, bien au contraire ! Elle est riche de modèles technologiques, de développement et de croissance reconnus mondialement. Elle exporte par exemple 90 % des œufs de truites qu’elle produit. Mais comme elle ne met pas en œuvre ses propres savoir-faire, elle importe beaucoup de produits de la mer... À l’échelle régionale, la Bretagne bénéficie d’une bonne mobilisation des acteurs de la recherche et de l’entreprise : trente projets innovants, labellisés par le Pôle Mer Bretagne Atlantique et représentant 146 millions d’euros, sont actuellement en cours avec, en ligne de mire, les recommandations de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. La première vise à diminuer encore la dépendance de l’aquaculture vis-à-vis de la pêche minotière. Des travaux, menés à la Pisciculture expérimentale de l’Inra à Sizun (Finistère), vont dans ce sens, avec la sélection de variétés de truites capables de supporter un régime entièrement végétarien.

Le mélange des genres

La FAO recommande aussi de varier les espèces cultivées et les pratiques d’élevage. Au centre Inra de Rennes, des chercheurs mettent au point des protocoles de cultures écologiquement intensives (lire p. 16) ; tandis qu’à la pisciculture de Sizun, c’est le principe d’épuration et de recirculation de l’eau qui est testé pour faire pousser des légumes (lire p. 17). Ce couplage de plusieurs modes de production, aussi appelé aquaculture multitrophique intégrée (AMTI), peut aussi être appliqué en pleine mer en installant des cages de mollusques filtreurs ou brouteurs, comme les ormeaux ou les oursins, sous des cultures d’algues : celles-ci nourrissent les animaux tandis qu’elles bénéficient du CO2 qu’ils expirent.

Quant aux cultures off-shore, installées plus loin de la côte, elles font l’objet de recherche et développement, car les verrous à lever sont encore nombreux : éloignement, coûts de maintenance... Mais, comme l’explique Richard Le Boucher, les idées ne manquent pas : « La cogestion des espaces maritimes associant culture d’algues et parc éolien off-shore sur un même site permettrait de maintenir la région à la pointe de l’exploitation marine durable. » Côté variété des espèces cultivées, la France est déjà bien lotie, mais n’élève pas encore de concombres de mer qui font fureur en Indonésie. Les Français se laisseront-ils tenter ?

Klervi L'Hostis/Nathalie Blanc

(1) Chiffres issus du rapport State of World Fisheries and Aquaculture publié par la FAO en 2014.
(2) Basé à L’Aigle en Normandie.
(3) Les prises de la pêche minotière (principalement de petits poissons pélagiques) sont transformées en farine ou en huile destinées à nourrir d’autres poissons. Par opposition aux prises de la pêche alimentaire qui nourrissent directement les hommes.

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