Des matériaux maltraités
Contraintes mécaniques, chauffage, champ électrique : les chercheurs du département Mécanique et verres de l'Institut de physique de Rennes torturent le verre pour améliorer ses propriétés.
Qu’il soit vitre, pare-brise ou fibre optique, le verre a toujours à peu près la même composition. Et ce, presque depuis qu’il a été fabriqué pour la première fois à l’Antiquité ! Contrairement aux métaux, dont les techniques de fabrication ont beaucoup évolué, donnant naissance à la métallurgie moderne qui est à l’origine de notre civilisation, la science du verre est relativement jeune. C’est dans cet esprit que Tanguy Rouxel, enseignant-chercheur au département Mécanique et verres à l’Institut de physique de Rennes, a rédigé sa demande de financement à l’ERC, en 2012 : modifier la composition du verre pour améliorer ses propriétés mécaniques et trouver éventuellement de nouvelles propriétés, susceptibles de déboucher sur de nouvelles applications. « C’est un peu notre marque de fabrique, ici à Rennes ! »
Que la lumière soit !
Quand un verre casse, l’énergie apportée par la contrainte (une pression, un choc) génère des fissures. « Nous avons fait le pari que cette énergie pouvait peut-être donner autre chose. Comme de la lumière, par exemple. » Et cela s’est produit : sous la contrainte, un morceau de verre émet une lumière verte, due aux transitions électroniques spécifiques des atomes qu’il contient. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication en 2015 (1). « L’intensité émise est encore très faible, poursuit le chercheur. Nous avons pu l’observer grâce à un équipement que nous avons conçu spécialement pour ce projet. C’est une machine d’essais mécaniques équipée d’une caméra à haute sensibilité, capable d’exercer et de mesurer des déplacements nanométriques et de mesurer les effets de la contrainte induite avec une très grande précision. »
Le verre devient plus liquide
L’autre pari était de jouer sur la composition pour faire apparaître des phénomènes électriques sous chargement mécanique. Après plusieurs essais et tâtonnements, les chercheurs ont appliqué des contraintes mécaniques à des verres maintenus à haute température (dans un four) et sur lesquels ils ont appliqué un courant de 500 à 1000 V. Premier résultat : sous champ électrique, la viscosité du verre diminue plus vite que quand le verre est simplement chauffé (2). En outre, des flashs lumineux sont produits (3).
« Nous les avons vus parce que nous avions le matériel pour. Et aussi parce que nous étions prêts. C’est souvent cela la recherche ! Mais il nous reste plein de choses à comprendre. » Deux thèses sur ce sujet ont été soutenues en début d’année, d’autres sont en cours sur la fabrication de verres composites et la compréhension de la fragilité... et les résultats continuent d’affluer. Outre la machine d’essais et les doctorants en thèse (au nombre de cinq), les 1,8 million d’euros de l’ERC ont aussi permis à Tanguy Rouxel de décharger certains de ses collègues partant pour se lancer dans cette aventure. « L’Europe nous demandait de prendre des risques, nous l’avons fait et cela a marché ! »
(1) Dans Applied Physics Letters.
(2) Il ne s’agit pas de l’effet Joule.
(3) Ce ne sont pas des arcs électriques.
Tanguy Rouxel
02 23 23 67 18
tanguy.rouxel@univ-rennes1.fr
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