Mélanome : une thérapie ciblée
Une équipe rennaise explore une voie inédite pour traiter le mélanome, le cancer de la peau le plus redoutable.
Parmi les cancers de la peau, le mélanome est le plus agressif. Lorsque la tumeur est détectée au stade précoce, elle peut facilement être retirée, via une opération chirurgicale. Mais à un stade plus avancé, les chances de survie des patients ne sont que de quelques mois. « Il y a encore cinq ans, il n’y avait pas de traitement, expose le professeur Marie-Dominique Galibert, responsable de l’équipe Expression des gènes et oncogenèse, à l’Institut de génétique et développement de Rennes(1). « Aujourd’hui, pour les patients atteints de la mutation prédominante à l’origine du développement de la tumeur, il existe des thérapies ciblées ou des immunothérapies. » Mais aucun des deux traitements ne guérit la maladie. Ils permettent de prolonger la vie du patient. De plus, tous les malades n’y sont pas sensibles. Il est donc important d’élaborer de nouvelles thérapies en espérant qu’elles soient plus efficaces ou complémentaires.
Un frein devenu inactif
Les chercheurs rennais ont trouvé une piste prometteuse et inattendue pour contrer le développement du mélanome. « On a remarqué que dans les cellules de mélanome, le mécanisme de frein, qui bloque la multiplication anarchique des cellules, était inactif. Notre étude a consisté à comprendre le mécanisme moléculaire responsable de ce blocage afin de restaurer l’activité du frein et ainsi de bloquer/ralentir cette croissance tumorale », explique la chercheuse.
« D’un point de vue moléculaire, on a montré que le frein, qui est en réalité un petit ARN (miR-16), était inactif dans la cellule cancéreuse, car il est séquestré sur un ARN de grande taille (TYRP1). L’ARNm TYRP1 agit comme une éponge et piège le miR-16. D’une certaine façon, le miR-16 ne peut plus exercer son activité normale antitumorale et contrôler la multiplication et la survie des cellules. »
Empêcher la séquestration
« L’originalité de ce travail repose sur l’identification du mécanisme de séquestration du frein. David Gilot, chercheur dans l’équipe, a imaginé une molécule thérapeutique qui masque le site de liaison et empêche ainsi la séquestration du miR-16 sur TYRP1. « Avec cette molécule, le miR-16 est à nouveau disponible dans la cellule et peut exercer son activité antitumorale. » L’avantage de cette stratégie repose sur le fait que cette molécule ne cible que les cellules qui contiennent TYRP1, c’est-à-dire les cellules de mélanome. Ainsi, les effets indésirables de cette molécule sont quasiment nuls pour les autres cellules et tissus du patient.
La prolifération est réduite
L’équipe a testé sa molécule, à la fois in vitro et in vivo, sur des tumeurs humaines greffées sur des souris. Dans les deux cas, la prolifération des cellules tumorales est fortement réduite. Un brevet a été déposé avec la Satt(2) Ouest Valorisation pour protéger leur invention. « C’est un mode de thérapie original : traditionnellement, on joue sur les protéines et depuis ces dernières années, des molécules thérapeutiques ciblant l’étape en amont, c’est-à-dire l’ARN, ont été conçues (3). Seule une poignée de molécules de ce type a été approuvée par la Fédération américaine du médicament(4), mais il n’y en a aucune en cancérologie », précise Marie-Dominique Galibert. Les chercheurs ont présenté leurs résultats lors de la rencontre annuelle de l’Association américaine de la recherche contre le cancer, en avril dernier à Washington. Leurs travaux seront prochainement publiés dans la revue internationale d’excellence Nature Cell Biology.
Des études complémentaires sont maintenant nécessaires avant de pouvoir proposer ce nouveau traitement en combinaison de ceux qui existent déjà, afin d’augmenter leur efficacité, ou être utilisé en cas de résistance ou rechute avec les thérapies actuelles. La majorité des patients pourrait en bénéficier, puisque plus de 50 % des personnes atteintes de mélanome cutané présentent un taux élevé de TYRP1, synonyme d’une séquestration du miR-16.
Et maintenant ?
« Nous sommes à un tournant qui nécessite des moyens ! » Pour évaluer l’innocuité et l’efficacité thérapeutique de cette molécule, l’équipe cherche maintenant un partenaire industriel.
(1) UMR 6290 CNRS/Université de Rennes 1. https://igdr.univ-rennes1.fr/en/research/research-groups/marie-dominiqu….
(2) Société d’accélération du transfert de technologies.
(3) Pour synthétiser une protéine à partir d’un gène (ADN), les cellules font une copie provisoire de l’ADN, appelée ARN messager (ARNm).
(4) Food and Drug Administration (FDA).
Marie-Dominique Galibert
tél. 02 23 23 47 05
mgalibert@univ-rennes1.fr
TOUT LE DOSSIER
du magazine Sciences Ouest