L’archéologie des champs de bataille

Carte blanche

N° 402 - Publié le 2 octobre 2022
Soldats français à l'assaut sortent de leur tranchée pendant la bataille de Verdun, 1916
Portrait de Pierre-Yves Laffont
Carte blanche
Pierre-Yves Laffont
Professeur d'histoire et d’archéologie médiévales à l’Université Rennes 2 (CReAAH)

Depuis une quarantaine d’années, l’archéologie du champ de bataille est devenue incontournable pour une meilleure compréhension des phénomènes guerriers. De Teutoburg1 à la bataille de Normandie, les apports de l’archéologie sont aujourd’hui nombreux. Cela est vrai même pour les périodes les plus récentes, a priori déjà bien connues pourtant. Au-delà de la dimension mémorielle, cette archéologie permet de relire de manière critique les autres sources, de les compléter ou de les éclairer pour les périodes anciennes et d’envisager de nouvelles thématiques. Mais elle n’est pas sans interroger la discipline elle-même.

Une distinction doit toutefois être faite entre la guerre des temps préindustriels et celle des temps industriels. En effet, la physionomie même de la bataille n’est pas identique : dans sa durée (une journée à Verneuil en 1424, presque un an pour Verdun) ; dans les effectifs engagés (de quelques milliers à des centaines de milliers, voire au-delà pour les conflits récents) ; dans la masse et la nature des moyens matériels mis en œuvre.

Localiser et dater la bataille

La localisation de la bataille peut poser problème. Plus on remonte dans le temps, plus cela est complexe et nécessite de déployer des trésors d’ingéniosité méthodologique et les cénotaphes2 parfois placés sur ces lieux nous renseignent souvent plus sur les pratiques mémorielles que sur les batailles elles-mêmes.

Un enjeu méthodologique majeur est bien évidemment celui de la datation. Comment dater avec certitude et précision un événement observé in situ qui n’a duré qu’une journée, quelques semaines ou mois ? Nous sommes là dans une archéologie du temps très court. Si cela n’est guère problématique pour les siècles récents, la chose l’est nettement plus pour les périodes anciennes, sauf à disposer de sources écrites et que l’on puisse, de manière assurée, mettre en adéquation les données de l’archéologie et les informations des textes anciens, souvent sommaires ou obscures. Les actuelles méthodes de datation restent globalement inopérantes à ces échelles de temps extrêmement courtes.

Des vestiges aux corps

L’identification des traces mêmes de la bataille peut être un défi pour les archéologues : si une tranchée est un vestige tangible, quels vestiges pour une bataille où se sont affrontés uniquement des cavaliers et des fantassins munis d’armes blanches ? Le secours vient alors pour l’archéologue de l’équipement perdu par les combattants. La présence de charniers a pu aider parfois à localiser la bataille.

Les objets archéologiques issus de ces contextes sont aussi un enjeu méthodologique : d’un côté, leur rareté pour les sites anciens, de l’autre, une masse colossale pour les sites contemporains. Tout ne peut être conservé, des choix s’imposent. Les périodes récentes entraînent de même des enjeux autour de la sécurité ou des risques patrimoniaux liés à l’usage de détecteurs de métaux. Outre leur volume, la nature même des objets issus de conflits industriels change : aux matériaux archéologiques “classiques” s’ajoutent aluminium, bakélite…, qui nécessitent d’autres techniques de conservation. Enfin, au-delà de l’analyse anthropologique, qui ne diffère pas selon les époques, l’archéologie ne peut considérer – et leur statut juridique respectif diffère – les restes humains d’un champ de bataille du 14e siècle et ceux des derniers grands conflits mondiaux.

On voit que l’archéologie du champ de bataille, loin d’être seulement une extension anecdotique de l’archéologie, se place aux carrefours de nombreux enjeux : épistémologiques et méthodologiques mais aussi éthiques et sociétaux.

1. Bataille entre légions romaines et Germains en septembre de l'an 9 après J.-C. dans la forêt de Teutoburg (Allemagne).
2. Monuments élevés à des fins de commémoration.

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