Les monnaies locales en pleine mutation
Les monnaies en constante évolution
La crise du Covid a fait beaucoup de mal aux monnaies locales et aux associations qui veulent les diffuser. Le numérique est-il la solution ?
L’Heol du pays de Brest, le Galléco à Rennes, le Buzuk à Morlaix ou le Pezh de Guingamp… Ce ne sont pas des noms d’animaux disparus mais bien de monnaies locales bretonnes. De plus en plus nombreuses en France depuis 2010, on en compte aujourd'hui 821 dont plus d’une dizaine dans la région. Toutes sont attachées à un territoire, indépendamment des frontières administratives. Sachant qu’elles suivent les valeurs de l’euro2, à quoi servent-elles ? À injecter de l’écologie directement dans l’économie locale, en mettant en valeur les producteurs locaux et les commerces de circuit court. Pour cela, professionnels et particuliers doivent adhérer aux associations qui défendent ces monnaies locales citoyennes (MLC).
Une application
Pendant la pandémie du Covid, ces organisations ont été profondément fragilisées. Le recrutement des utilisateurs sur les marchés devenant impossible, le nombre d’adhérents a chuté. L’association Heol à Brest a même failli disparaître après 10 ans d’existence à cause d’un manque criant de bénévoles. C’est finalement l’annonce de ces difficultés dans les journaux qui a permis aux équipes de se renforcer. La mission des nouvelles recrues : recruter. « On manque encore d’utilisateurs d’Heol, ils ne sont que 1 000 à Brest », témoigne Sophie Hamonet de l’association.
Le passage au numérique est alors apparu comme une solution pour redynamiser cette monnaie. « Il y a eu beaucoup de discussions entre bénévoles. Tous n’étaient pas d’accord », explique la jeune femme. Une application Heol est finalement née, venant s’ajouter aux billets imprimés. Depuis, il n’est plus nécessaire d’aller dans l’un des dix comptoirs de change de la ville pour obtenir ces Heol : il suffit de les convertir directement sur son téléphone.
Incitation à la consommation
Cette dématérialisation possède certains avantages, pointés par des chercheurs dans une étude sur la numérisation des MLC bretonnes3. En plus du compte rechargeable en ligne, les applications permettent un investissement sur un plus grand territoire et le paiement de plus grosses sommes. La comptabilité des commerçants est aussi simplifiée : ils n’ont plus besoin de dédoubler leur caisse. Mais les valeurs écologiques et sociales s’éloignent du projet initial des monnaies locales « Nous sommes à la limite de l’oxymore en parlant de numérique et d’économie sociale, solidaire et locale, relève Nicolas Jullien, l’un des économistes qui a participé à l’étude. Le numérique sous-tend une incitation à la consommation à large échelle. »
Pour Frédéric Maymil, bénévole pour Galléco, la monnaie rennaise, cette contradiction n’est qu’une partie du problème. « Nous n’avons pas réussi à créer une dynamique de liens à Rennes, la ville est trop grande ! Les petits commerces adhérents sont noyés par les grandes chaînes. » En revanche, la monnaie fonctionne très bien sur le territoire de Redon, en zone rurale. « On doit peut-être changer de stratégie... », conclut le bénévole.
1. Selon le Mouvement Sol qui fédère et accompagne les associations de monnaies locales citoyennes.
2. Par exemple un Buzuk restera toujours égal à un euro.
3. La numérisation des monnaies locales en Bretagne, débats, controverses et retours d’expérience (2021).
Nicolas Jullien
nicolas.jullien@imt-atlantique.fr
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du magazine Sciences Ouest