Romain Huët, un chercheur dans la guerre

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N° 422 - Publié le 29 septembre 2024
© ROMAIN HUËT
En Ukraine et en Syrie, Romain Huët observe comment la guerre transforme ceux qui la vivent.

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Depuis 2012, le chercheur multiplie les séjours en Syrie et en Ukraine pour comprendre les mécanismes qui conduisent des individus ordinaires dans la guerre. Un terrain qui « ne laisse pas indifférent ».

Qu’est ce qui peut bien pousser un universitaire français à passer son été avec une trentaine de combattants biélorusses sur le front ukrainien ? En juillet et août, Romain Huët s’est rendu trois semaines dans le Donbass auprès d’une brigade de volontaires qui combat l’armée russe. L’ethnographe rennais, enseignant-chercheur à l’Université Rennes 2, les avait rencontrés lors d’un précédent séjour, dans le cadre de son travail sur les engagés volontaires en Ukraine et en Syrie¹. « Mais je n’avais pas passé assez de temps avec eux pour avoir un aperçu de leur quotidien, de leur vécu intime de la guerre », raconte-t-il.

L’expérience de la guerre


Qu’il travaille sur le suicide, les émeutes ou les conflits armés, Romain Huët sonde la violence. « Je n’aime pas la guerre mais je cherche à comprendre son pouvoir d’attraction. Pourquoi certains basculent dans des formes de violence ? Comment une exposition durable à celle-ci affecte la subjectivité et le rapport au monde ? », interroge-t-il. Pour comprendre, il part à la rencontre de figures ordinaires précipitées au milieu du chaos. « Je ne m’intéresse pas aux professionnels de la guerre mais aux gens comme vous et moi qui décident de prendre les armes », explique le chercheur.

Romain Huët explore les récits intimes et les trajectoires personnelles ; les affects sont sa porte d’entrée vers l’expérience de la violence. « Les humains ne sont pas tout à fait rationnels, cela ne vous aura pas échappé », lance-t-il. À travers les émotions et les sensations, l’ethnographe tente de saisir cette part de pulsionnel « qui mérite d’être analysée ».

Funambule


Depuis 2012, le chercheur s’est rendu cinq fois en Syrie et autant en Ukraine. « L’immersion est nécessaire avec des groupes très fermés. » Il faut en effet atténuer la méfiance. Plusieurs fois, on l’a pris pour un espion. « Quand on est tous les jours avec les gens, on finit par accéder à des formes de sincérité », confie-t-il. C’est là que l’ethnographe récolte ses données, à travers des entretiens et des observations. Alors parfois, s’installe un rapport proche de l’amitié, il l’admet : « Ce sont des terrains qui ne laissent pas indifférents, il y a peu de distance ». La proximité, c’est aussi celle de la violence. Romain Huët s’y expose sans y prendre part. Comme sur une ligne de crête, il s’approche, l’observe et consigne tout dans un carnet qui ne le quitte jamais. « Pour moi, un chercheur est un funambule », compare-t-il.

Mais le cadre universitaire est loin d’être adapté. « Il n’existe pas de protocole pour envoyer des chercheurs dans ces zones, officiellement mon ordre de mission est pour la Pologne », confie l’ethnographe. Il n’y a pas non plus d’accompagnement psychologique au retour. Romain Huët est même parti en Syrie sur ses fonds propres. Pourtant, « rien de ce qui agite le monde ne devrait être soustrait à la connaissance, c’est le rôle de la recherche », soulève-t-il.

Violette Vauloup

1. La guerre en tête : sur le front, de la Syrie à l’Ukraine, aux éditions Presses universitaires de France (2024).

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