Patrimoine immatériel et coquillages

Carte blanche

N° 424 - Publié le 28 novembre 2024
Photo de coquillages
© BAS GEERLINGS-PEXELS
Portrait de Catherine Dupont
Carte blanche
Catherine Dupont
Directrice de recherche en archéologie des invertébrés marins à l’Université de Rennes, Médaille de Bronze du CNRS 2014.

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Certains d’entre vous pratiquent peut-être la pêche à pied. D’apparence anodine, cette activité en révèle beaucoup sur notre société. C’est l'une des premières pratiques qui a permis aux humains de se nourrir. Après avoir été un composant majeur de notre alimentation, les fruits de mer ont servi d’appoints et ce dès la Préhistoire. Il semble que la cause en soit l’adoption de l’agriculture qui a permis aux populations de disposer de ressources prédictibles. Cette généralité ne doit pas nous faire oublier les plus pauvres qui ont survécu grâce à leur consommation, les locaux qui les ont pêchés et mangés par tradition. De même, elle ne doit pas passer sous silence les moments sombres de notre histoire. La Seconde Guerre mondiale a par exemple amené les populations côtières qui avaient accès à la côte à survivre grâce à ces animaux à coquille.

Une perte de transmission


Même si manger des coquillages n’est plus une question de survie, la France reste championne d'Europe en matière de pêche à pied avec plus de 2 millions de pratiquants. Aujourd’hui, mis à part quelques professionnels qui en vivent, elle est passée au statut de pêche à pied de loisir. Force est de constater qu’à l’heure où les jeunes générations se doivent d’être mobiles pour trouver du travail, beaucoup s'éloignent des coins de pêche et des cheminements que les aînés leur ont appris. À cela s’ajoute la concurrence d’autres loisirs liés aux nouvelles technologies. Malgré des retours réguliers aux sources, une rupture se fait peu à peu au fil des générations. Une perte de transmission sans retour de savoirs et de techniques attachés à chaque portion de la côte s’opère peu à peu.

Chargés d’émotion et de symbole


Ce constat est lié au fait que cette source de savoirs se fait par une transmission orale sur les estrans, autour d’un partage de sensations et d’expériences communes répétées en un même lieu. Ces retours permettent d’intégrer les variabilités des éléments naturels liés par exemple à la météo. Des spécificités locales disparaissent actuellement de notre patrimoine. Elles touchent, entre autres, des espèces qui ne sont consommées que localement ou des lieux accessibles seulement quelques jours dans l’année via un cheminement demandant un apprentissage, à l’image d’une piste dans une zone désertique où les éléments de la nature sont les seuls points de repère.

De même, il y a encore peu de temps, dans certaines zones côtières de France, les grands-mères offraient des colliers de coquillages à leurs petites filles autour de leurs sept ans1. Ces dernières, aujourd’hui adultes, gardent ces biens précieux chargés d’émotion et de symbole tels des trésors. Curieusement, étonnamment voire génialement, ce sont les mêmes coquillages2 qui ont été utilisés par milliers il y a plus de 8 000 ans sur la côte atlantique. Ils semblaient alors servir de marqueur identitaire aux groupes humains qui fréquentaient la côte. Mais il reste impossible de faire parler ces coquilles vides au-delà des généralités. Actuellement, le don de colliers de coquillages tombe peu à peu en désuétude. Cette pratique ne doit pas être oubliée, vous êtes peut-être les dernières à les avoir offerts ou reçus. Ensemble nous pouvons faire en sorte que ce patrimoine immatériel lié aux coquillages, que seuls des témoignages pourront faire survivre dans toutes leurs dimensions, soient connus des générations futures.

  1. Un questionnaire a été élaboré pour en savoir plus sur cette transmission. L'enquête est en cours, si vous en êtes témoins n'hésitez pas à contacter Catherine Dupont.
  2. Cyprée, appelée grain de café, petit cochon ou encore "cochcoch" ; et littorine obtuse ou petit jaune.

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