Vers moins de pesticides ?

Carte blanche

N° 430 - Publié le 3 juin 2025
Photo d'un champs agricole
© KROKO021 - ADOBE STOCK
Portrait de Marc-André Selosse
Carte blanche
Marc-André Selosse
Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle et à l’Institut universitaire de France, auteur de Nature et préjugés : convier l’humanité dans l’histoire naturelle (Actes Sud, 2024).

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Aux États-Unis, une maladie décime les chauves-souris dans certains comtés. Puisqu’elles ne dévorent plus les insectes nuisibles aux cultures, le recours aux insecticides augmente de 31 %. Coût agricole, mais aussi humain : la mortalité infantile croît de 8 % dans ces régions, à cause de maladies liées aux insecticides. Là où des mécanismes écologiques pourraient réduire leur usage, les pesticides nous abîment.

Mélange de végétaux


Nous acceptons l’intolérable. Nous pelons les fruits pour éviter les pesticides alors que la chair en contient encore et que la peau concentre les vitamines et les antioxydants. Le traitement des eaux potables coûte plus d’un milliard d’euros1… Si seulement l’eau était propre ! Les analyses ne ciblent qu’au plus la moitié des 750 pesticides et dérivés présents, et on en méconnait encore beaucoup. Nous acceptons que les agriculteurs souffrent des pesticides. Comparés à la population, ils présentent un sur-risque de 54 % de lymphomes plasmocytaires, de 20 % de myélomes multiples et de 13 % de Parkinson à 55 ans. Ironie, la toxicité des pesticides est légalement actée car, depuis 2020, nos impôts financent un fonds d'indemnisation des victimes de pesticides !

Une lueur pour aller vers moins de pesticides ? Nos connaissances en écologie offrent des outils pour la production agricole : c’est l’agroécologie, fruit de milliards d’euros et d’heures de recherche. Il serait intolérable de ne pas y regarder de près. L’agriculture bio utilise déjà la lutte biologique en introduisant les prédateurs des indésirables. Mon équipe de recherche travaille à recruter d’autres agents de lutte parmi les microbes des sols et des plantes. Autre exemple : développer des variétés résistantes, qui requièrent moins de pesticides. Les nouveaux cépages de l’Inrae2 demandent ainsi sept à dix fois moins de traitements. Et une haie réduit de 84 % l’entrée des bioagresseurs dans une parcelle, car elle fait obstacle et abrite oiseaux et chauves-souris, prédateurs d’insectes. On l’a oublié car les haies ont été arrachées alors qu’on disposait de pesticides. Des cultures mélangées (de céréales et légumineuses par exemple) réduisent quant à elles la propagation des bioagresseurs de 60 %, tout en augmentant la production de 20 à 40 %.

Dans les cultures annuelles, le mélange de variétés freine la propagation des pathogènes : planter une variété unique est une promesse de strike pour les pathogènes adaptés ! Un paysage en mosaïque, où deux champs contigus ne portent jamais la même culture, défie aussi la propagation des maladies. De longues rotations, faites de cultures différentes sur sept à dix ans, tuent les formes d’attente des pathogènes avant le retour de leur festin. Bien sûr, la spécialisation des productions par région complique les choses, mais rappelons-nous qu’il n’en a pas toujours été ainsi.

Une action collective


Ces stratégies n’excluent pas totalement les pesticides, mais les relèguent à la dernière étape de lutte, où et quand les autres ont échoué. En utilisant moins souvent ces produits, les maladies y deviendront moins résistantes et on évitera d’augmenter les concentrations. Ne vous leurrez pas, ces lignes ne blâment pas les agriculteurs. Quand l’un d’eux appuie sur un pulvérisateur, une loi l’y autorise, que des électeurs ont acceptée ; si sa récolte se vend, c’est que les consommateurs avalisent par là sa démarche. C’est collectivement que nous devons aller vers moins de pesticides. D’ailleurs, on ne peut demander à chacun de payer, quels que soient ses revenus, qu’il produise ou consomme, le prix d’une agriculture plus vertueuse pour notre santé. Tout comme les économies de santé promises demain seront collectives, le coût du chemin vers moins de pesticides doit être mutualisé.

1. Chiffre de 2011 car, tenez-vous bien, nulle étude n’évalue plus récemment ce coût.
2. Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement – ces cépages comprennent notamment Voltis et Artaban.

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