À Dougga, les pierres parlent

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N° 432 - Publié le 25 septembre 2025
© YVAN MALIGORNE
Zone d’extraction de pierres de taille au sommet d’un affleurement, à proximité de Dougga.

En Tunisie, les vestiges d’un site antique révèlent la coexistence d’activités a priori incompatibles. Une étude cherche à comprendre comment elles ont pu se superposer et s’adapter les unes aux autres.

À la périphérie de la ville antique de Dougga, en Tunisie, un projet archéologique atypique tente de démêler l’histoire mouvementée d’un site étonnamment complexe. Sur une surface restreinte de 2,5 hectares, des vestiges montrent que l’endroit a, au fil des siècles, été utilisé pour des exploitations très différentes : une nécropole, l’extraction de pierres à grande échelle et la construction d’un cirque romain.

Comprendre les usages


« Normalement, ces activités n’ont rien à faire ensemble, déclare Yvan Maligorne, maître de conférences en histoire ancienne à l’UBO1 et responsable de l’étude. Un cimetière est habituellement un lieu solennel alors qu’une carrière de pierre est au contraire un espace agité et bruyant. » L’équipe de chercheurs franco-tunisienne a donc pour ambition de comprendre la manière dont ces usages ont pu se superposer dans le temps comme dans l’espace. Cette coexistence, rare et peu documentée, constitue l’originalité majeure du projet.

Les premières campagnes de terrain ont eu lieu en mai et novembre 2024. Des géologues ont analysé 98 échantillons de pierres calcaires de l’Éocène inférieur (entre -56 et -49 millions d’années) prélevés sur le site antique. Ils ont ainsi identifié onze types de roches utilisés dans la construction de Dougga. En parallèle, les archéologues ont relevé minutieusement les traces d’extraction de blocs visibles autour du cirque et ont pu établir des cartes permettant de croiser leurs observations avec les données géologiques. L’analyse des tombes romaines présentes sur la zone apporte également des repères chronologiques utiles pour dater certaines phases d’exploitation. « La nécropole s’est installée sur une partie de la carrière, ce qui a forcément mis fin à l’extraction de pierres », affirme Yvan Maligorne.

Ces travaux ont d’ores et déjà permis de revoir certaines hypothèses. La construction du cirque, par exemple, n’a pas stoppé l’extraction de roches, mais elle a profondément modifié son fonctionnement. Les voies d’évacuation traditionnelles ont été bloquées par la structure du bâtiment, forçant les artisans de l’époque à emprunter une nouvelle rampe au nord du territoire. Cette adaptation illustre parfaitement la manière dont les différentes activités ont dû s’accommoder les unes aux autres.

Traces d’outils 


Prochaine étape : l’étude comparative des blocs ayant servi à la construction des monuments antiques. Les chercheurs espèrent y retrouver des traces d’outils similaires à celles observées dans les carrières, ce qui leur permettrait d’affiner la compréhension de la chronologie de l’utilisation du site. « À terme, nous espérons pouvoir déterminer la provenance des pierres de tous les monuments de Dougga datant de l’Antiquité et étendre nos méthodes à d’autres villes tunisiennes », s’enthousiasme le scientifique.

Jimmy Leyes

1. Université de Bretagne Occidentale.

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