L’artiste explore le réel

N° 254 - Publié le 10 décembre 2014
© Céline Duguey

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Où s’arrête la science, où commence l’art ? Visite guidée dans l’univers de Laurent Duthion, un artiste d’expériences.


«Une exploration du monde suivant un mode rationnel », c’est la science telle que la voit Laurent Duthion. La science, cet artiste rennais s’en inspire, la devance quelquefois. Il expérimente à sa façon. Dans la Criée, le centre d’art contemporain de Rennes où il exposait jusqu’au 27 avril, le visiteur tombe nez à nez avec un aquarium géant (voir photo). À l’intérieur, point de poissons, mais une table, une chaise et... l’Aquarhine, un tuba nasal qui permet de goûter des aliments sous l’eau ! « C’est basé sur le principe de rétroolfaction, explique-t-il, les caractéristiques aromatiques sont captées par la bouche et transmises au système olfactif. Mais le nez doit pouvoir respirer pour sentir. » D’où des calculs pour déterminer le diamètre, la longueur du tuba... Aujourd’hui cette expérience intrigue les scientifiques.

L’odorat, Laurent Duthion l’a déjà fait travailler, dans d’autres productions. Au cours de l’hiver 2007, il a rapporté des échantillons d’odeurs d’Antarctique – dans le cadre du projet Art aux pôles lancé par l’Ipev(1) –, une initiative inédite. Lorsqu’il évoque son séjour sur ce territoire dédié à la science, l’artiste est enthousiaste. « Sur place j’ai pu facilement être intégré aux différentes équipes de recherche : des glaciologues ou d’autres scientifiques (plus) concernés par les animaux. De manière générale, je n’ai aucun complexe à travailler avec des scientifiques, car je m’intéresse véritablement à leur travail. Parfois, certains ont du mal à comprendre ma démarche. Mais j’adopte une partie de leur vocabulaire, pour pouvoir échanger, et les choses se passent toujours bien. » 

La graisse sent la rose

Dans une seconde pièce du centre d’art, une autre odeur surprend les narines.
Les effluves arrivent d’un coin de mur recouvert d’une graisse imbibée de géraniol, une molécule d’alcool présente dans le parfum des roses. « C’est une odeur dite physiologiquement active, explique Laurent Duthion, des expériences ont montré qu’elle agit sur la concentration. » Au sol, une phrase interroge : “vert comme une odeur de géraniol”. « C’est une mise en parallèle. Des théories scientifiques affirment que certaines gammes de vert peuvent bloquer la synthèse de mélatonine et, par conséquent, influencer notre concentration. En somme, certains verts permettraient de rester attentif de façon prolongée, un effet similaire à celui du géraniol. » Ces rapprochements, un chercheur ne peut pas se les permettre, sauf à trouver des preuves !

Une pintade au plafond

Un bruit étrange se fait entendre : c’est Présence Vulturine, la pintade originaire d’Afrique de l’Est que l’artiste a choisie comme logo pour son exposition. Elle se balade sur une poutre du plafond. « Je ne voulais pas un logo simplement visuel, mais aussi impliquer d’autres sens. Elle joue son rôle de logo, car elle représente l’aspect vivant de mon travail. Et elle a une apparence hybride, entre la pintade et le vautour. » Or l’hybridation, processus bien connu des biologistes, est devenue, au fil des ans, une spécialité de Laurent Duthion, qui a travaillé sur le sujet avec des chercheurs de l’Inra(2) notamment. Dès le lycée, lorsqu’il choisit de passer un bac scientifique, l’artiste est séduit par l’aspect exploratoire des sciences. Mais n’aurait-il pas souhaité être chercheur ?
« Je savais que je voulais être artiste, répond-il, pour ne pas être restreint, d’aucune façon. Ce qui me fascine, dans les sciences et ailleurs, c’est la diversité, l’inventivité », ajoute l’homme qui se sent plus à l’aise avec 25 idées en tête qu’une seule. S’il porte un regard un peu admiratif sur les sciences et leur capacité à expliquer les choses, l’artiste en perçoit les limites. « Regardez Pluton, qui a perdu son statut de planète. Comme quoi, rien n’est acquis, même en science. »

Céline DUGUEY

(1)L’Institut polaire Paul-Émile-Victor offrait en 2007 et 2008 la possibilité à six artistes de résider sur les bases polaires scientifiques.
(2)Institut national de recherche en agriculture de Corse et d’Avignon.

Laurent Duthion
laurent [at] duthion.net (laurent[at]duthion[dot]net)

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