Au Maroc, la forêt sous pression

N° 290 - Publié le 16 septembre 2011
© Nelly Menard - CNRS
Juché dans le cèdre, un berger ébranche l'arbre pour nourrir son troupeau.

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Dans un contexte économique complexe, le singe magot subit de plein fouet la dégradation des forêts du Moyen Atlas.

Maître Magot sur son arbre perché... cherchait désespérément un autre arbre auquel se raccrocher ! Le territoire de ce macaque, les forêts méditerranéennes des montagnes d’Algérie et du Maroc, est aujourd’hui un peu trop clairsemé pour assurer la bonne survie de l’espèce.

 « C’est l’un des indicateurs de la dégradation de ces zones forestières », explique Nelly Ménard, éco-éthologiste dans l’unité de recherche Écobio, à la Station biologique de Paimpont, qui étudie depuis plusieurs années les relations entre l’unique macaque africain, l’homme et la forêt du parc marocain d’Ifrane, au sud de Meknès. « Ces forêts de cèdres et de chênes verts, implantées entre 1 000 et 2 400m d’altitude, sont très fragiles, poursuit-elle, elles sont situées aux portes du désert et subissent une très forte pression due à l’activité humaine. »

Des moutons par milliers

Traditionnellement, les bergers y emmènent paître leur troupeau en été, avant de redescendre en plaine pour l’hiver. Mais ces quinze dernières années l’enneigement a fortement diminué, écourtant les périodes d’hivernage. « Certains bergers restent parfois toute l’année en altitude. Mais lorsque tous les pâturages ont été broutés par les quelque 800 000 moutons recensés, ils ébranchent les cèdres pour nourrir leurs bêtes et les arbres ne résistent pas. » Des portions entières de forêts sont vouées à disparaître. « Le phénomène est difficilement contrôlable par les forestiers. Les troupeaux n’appartiennent pas aux bergers mais à des notables, en ville. Un professeur de l’École nationale forestière d’ingénieurs de Rabat a calculé qu’on a atteint quatre fois la charge acceptable de moutons dans la forêt ! »

Quatorze zones forestières disjointes

Passé les troupeaux, l’exploitation commerciale du cèdre, un bois de haute valeur, encourage aussi des pratiques radicales : les coupes à blanc périodiques des chênes verts notamment, afin de produire du bois de chauffage dans un pays qui ne possède ni gaz, ni pétrole. Censées favoriser les cèdres, elles entraînent une augmentation de la température au sol, ce qui nuit finalement à la repousse des jeunes, et, surtout, ces pratiques créent des zones que le singe magot ne peut pas traverser, faute de pouvoir y trouver un refuge arboré en cas de danger. « Aujourd’hui, dans le parc marocain d’Ifrane, il existe quatorze zones forestières disjointes et autant de populations de singes. Les jeunes mâles, qui normalement quittent le groupe à leur maturité sexuelle, ne peuvent plus le faire, et le brassage génétique entre populations n’est plus assuré. »

Pour mieux appréhender cette situation complexe, Nelly Ménard a suivi, entre 2006 et 2009, les populations de singes dans le parc. « Avec des étudiants, français et marocains, et des jeunes forestiers formés à la gestion de la biodiversité, nous avons effectué un recensement complet, dans trois zones subissant des pressions différentes. » Ce travail a permis de montrer que les singes ne pullulaient pas, au contraire ! « L’espèce est déjà classée en danger. » Certains forestiers véhiculent l’idée contraire, car les magots écorcent les cèdres qui perdent alors une partie de leur valeur commerciale. Ils doivent trouver dans la sève des ressources qui compensent l’amoindrissement de la biodiversité. « Nous avons également entamé une étude génétique à partir des crottes prélevées au pied des arbres dans lesquels les groupes établissent leurs “dortoirs”. » Les résultats de cette dernière étape ne sont pas encore connus mais des décisions ont déjà été prises, comme l’arrêt des coupes à blanc de chênes. « C’est primordial. Une publication a montré que l’aire du cèdre devrait diminuer sous l’influence du réchauffement climatique. Les chênes restent la seule alternative pour offrir un habitat durable aux singes. »

 

 

 

Vidéo

Les singes au Maroc
Le singe Magot, qui vit dans les montagnes du Maroc et d'Algérie, est menacé par la dégradation des forêts. Les biologistes de la Station biologique de Paimpont l'étudient. Les explications de l'éco-éthologiste Nelly Ménard, de l'unité de recherche Ecobio.

CÉLINE DUGUEY

Nelly Ménard  Tél. 02 99 61 81 72
nelly.menard [at] univ-rennes1.fr (nelly[dot]menard[at]univ-rennes1[dot]fr)

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