Algues vertes : où en sommes-nous ?
Apparues il y a trente ans, les marées vertes sont bien connues des scientifiques, mais font toujours polémique.
L’Europe vient d’épingler la France. Ses efforts pour limiter le taux de nitrates dans les eaux ne semblent pas suffisants. Comme une preuve en images, les photos des plages couvertes d’algues vertes ont du mal à passer de mode. Et la polémique, déclenchée par la mort d’un cheval pendant l’été 2009 ne désenfle pas depuis. L’animal a braqué l’attention des médias et des politiques sur un phénomène arrivé il y a plus de trente ans sur les côtes bretonnes !
« Notre principale erreur, à nous scientifiques, confie Pierre Aurousseau, président du Conseil scientifique de l’environnement Bretagne (CSEB) et professeur à Agrocampus- Ouest, c’est d’avoir longtemps considéré ces algues vertes comme une simple nuisance. Une nuisance importante, certes, pour la pêche (colmatage des chaluts), l’aquaculture (recouvrement des bouchots), le tourisme, mais de n’avoir pas vu qu’elles pouvaient représenter un risque de santé publique. »
Des lagunes à l’Atlantique
Elles sont pourtant présentes depuis le début des années 70, « de plus en plus récurrentes, pour finalement revenir chaque année. Quelques cas avaient déjà été observés avant, dans les années 50 et même avant guerre, mais très localement, en baie de Lannion, car c’est le site le plus sensible de la côte bretonne. »
À l’époque, les premières marées vertes ont surpris et interrogé. Même les scientifiques ne comprenaient pas pourquoi ce phénomène, bien connu dans les lagunes fermées, s’invitait sur les côtes bretonnes.
Les nitrates, facteur de contrôle
La configuration des plages n’explique pas à elle seule l’ampleur du phénomène, « sinon les plages seraient vertes depuis des millénaires ! », argumente Pierre Aurousseau. Il a fallu un autre ingrédient, venu de la terre : les fameux nitrates. « Comme toutes les plantes, l’algue a besoin de sels nutritifs, essentiellement du nitrate - issu de l’azote terrestre -, et du phosphore. Les études sur sites ont permis de montrer que le nitrate était le facteur de contrôle de la production d’algues vertes au printemps. » En effet, le phosphore est présent en quantité suffisante dans les sédiments des plages, où il s’est accumulé pendant des millénaires. Par contre, en condition naturelle, l’eau de mer est très pauvre en nitrates. « Or, les algues ont besoin pour se développer d’une eau concentrée, car elles ne peuvent pas pomper le nitrate. » Ces concentrations élevées sont atteintes depuis trente ans à l’embouchure de certaines rivières bretonnes. D’ailleurs, lorsque les marées vertes pointent leur nez au printemps, elles s’installent dès le départ sur les côtés des ruisseaux qui arrivent dans la mer, où la concentration est la plus forte.
Un choix politique
En 2007, le tribunal administratif de Rennes a reconnu officiellement les nitrates comme la cause des marées vertes ! Et l’origine agricole de ces nitrates, même si elle fait parfois l’objet de certaines polémiques, a été démontrée depuis de nombreuses années. Par un constat historique d’une part : l’apparition des marées vertes coïncide avec le déploiement massif, dans la région, de l’agriculture intensive. Un choix avant tout politique, pour permettre à la Bretagne de rattraper son retard économique, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Mais surtout, par un long travail scientifique (voir illustration en haut de page). Les premières mesures systématiques de nitrates faites dans les rivières bretonnes en 1971 affichent une moyenne à 4,4mg/L. Dix ans et une révolution agricole plus tard, elles flirtent déjà avec la barre des 50mg/L, instaurée par l’Europe dès 1975. Et les autres sources potentielles, notamment les rejets urbains, ne suffisent pas à expliquer cette explosion des taux. La part de l’azote non agricole dans les flux arrivant à la côte par les cours d’eau est estimée à 5% seulement, en moyenne.
Face à ces constats, les directives européennes imposent des efforts. Les agriculteurs revoient leurs pratiques, contrôlent leurs apports en fertilisants et instaurent des plans d’épandages. Des efforts réels mais dont les effets ne pouvaient pas encore se voir lorsque la polémique a éclaté, ce qui explique pour partie la crispation autour de ce problème. Ces mesures permettent péniblement à la France de rentrer dans le rang européen, et d’éviter de lourdes amendes. Mais comme les algues vertes n’en sont pas les cibles directes, elles ne suffisent pas à les éliminer. Et le choix d’une politique basée sur des aides publiques, qui favorisent les systèmes de stockage et de traitement des effluents, fausse le jeu. Elle confère aux exploitations qui réalisent de tels investissements une rentabilité artificielle, qui les incite à poursuivre dans la même voie et freine l’émergence de solutions alternatives. Car elles nécessitent parfois un changement important du système de production, comme le retour à l’herbe testé par les chercheurs de l’Inra.
Une source d’innovations
En attendant un hypothétique retour à des plages vierges d’algues - grâce à des changements en profondeur ou au changement climatique -, des entreprises y ont pêché du positif et trouvé dans ces envahisseuses une source d’inspiration. Pour créer, par exemple, de nouvelles formes d’alimentation animale… le début d’un nouveau cycle ?
Le plan d’urgence du gouvernement
Suite à la mort d’un cheval sur la plage de Saint-Michel-en-Grève (22) pendant l’été 2009, le gouvernement a décrété la mise en place d’un Plan algues vertes. Il concerne huit baies “algues vertes” identifiées par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne.
« Dans chaque baie, un consortium d’associations, de professionnels, de décideurs politiques devait effectuer un état des lieux et déterminer son propre plan d’action pour diminuer, sur cinq ans, de 30% le taux de nitrates dans ses eaux, explique Pierre Aurousseau. Le Comité scientifique du Plan algues vertes (CSAV) est en charge de les évaluer. »
Aujourd’hui sept plans ont été évalués. Les avis du CSAV ont été très mitigés. Les premiers projets mettaient entre autres en avant la méthanisation du lisier, qui, contrairement aux idées reçues, ne permet pas de lutter contre les fuites de nitrates. Et sur certains sites, les taux visés ne permettront pas la disparition des marées vertes, car dans les plus sensibles, il faudrait descendre en dessous de 10mg/L et peut-être moins.
Pierre Aurousseau Tél. 02 23 48 54 28
pierre.aurousseau [at] agrocampus-ouest.fr (pierre[dot]aurousseau[at]agrocampus-ouest[dot]fr)
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