Comprendre la carte des échouages
Modélisation, mesures de terrain : la prolifération des algues vertes est étudiée depuis plus de vingt ans en Bretagne.
La prolifération commence en mars ou avril quand les conditions favorables à la croissance des ulves sont réunies : de l’eau claire, ensoleillée voire légèrement chauffée et riche en azote. Le phénomène s’accélère en juin et trouve son apogée en plein mois de juillet. Ces paradis pour algues vertes sont souvent des baies peu profondes, alimentées par un bassin versant agricole. En Bretagne, cent trente-sept points du littoral ont été touchés au moins une fois depuis 1997 par des échouages d’ulves, dont soixante et un le sont de façon récurrente. 35% sont des vasières et dans certaines zones, du Finistère notamment, une partie des algues vertes reste stockée dans la masse d’eau où une part échappe à l’observation aérienne. « La notion de dénombrement des sites est à manier avec prudence, précise Sylvain Ballu du Centre d’étude et de valorisation des algues (Ceva), basé à Pleubian (22). La baie de Douarnenez est subdivisée, par exemple, en onze sites, c’est-à-dire entités homogènes de dépôt pouvant dépendre d’apports différents. C’est pourquoi pour mesurer l’évolution du phénomène nous préférons analyser les surfaces d’échouage. C’est plus précis. » (Voir cartes ci-dessous).
Une accumulation paradoxale
Cette précision est le fruit d’un suivi pluriannuel régulier (survols aériens, mesures sur le terrain) réalisé par le Ceva, qui s’appuie aussi, depuis 2006, sur un modèle mathématique mis au point, dès les années 80, par Alain Ménesguen, du laboratoire d’écologie côtière d’Ifremer, à Brest. Collectes, comparaisons de données de cartographie, études de l’écophysiologie des algues..., l’outil de modélisation s’est enrichi au fil des années et prend aujourd’hui en compte de nombreux paramètres (courants de marée, effets du vent, apports en eau douce, température de l’eau, transparence, teneurs en azote et phosphate dissous...). Il a, par exemple, réussi à expliquer un fait paradoxal au premier abord : l’accumulation des algues dans des baies très ouvertes malgré l’action biquotidienne des marées. « C’est une question de topographie du fond marin, explique Alain Ménesguen. Le confinement d’algues en suspension dans l’eau se produit dans des zones où la dérive résiduelle, c’est-à-dire la dérive nette après une période de marée, est quasi nulle et ne permet donc pas de renouveler totalement l’eau. »
Moins d’algues vertes en 2012 ?
Autre grand pas dans la connaissance sur les échouages : « Le suivi régulier et la comparaison des données d’une année à l’autre nous ont permis de mettre en évidence une corrélation entre l’importance des proliférations et le niveau des flux d’azote apportés par les rivières dans les baies pendant la période de prolifération », note Sylvain Ballu. D’après le survol qu’il a effectué en février dernier et l’hiver encore très sec qui vient de passer, qui préfigure des flux d’été bas, il semblerait que le scénario des années 2010 et 2011 - des marées vertes fortement limitées sur certains sites - se répète en 2012. Mais peut-on se réjouir pour autant du manque de pluie ?
Quant à l’impact des diminutions des concentrations d’azote sur les proliférations, le Ceva l’a simulé pour le programme Prolittoral, dans cinq sites particulièrement sensibles(1) : « Il faudrait faire descendre le taux de nitrates en dessous de 10mg/L pour pouvoir observer une diminution de 50% des marées vertes », souligne Alain Ménesguen. Les chiffres sont brutaux, directs. Alors que la moyenne des teneurs en nitrates des rivières bretonnes reste aux alentours de 30mg/L, cette préconisation semble difficile à atteindre, en raison des enjeux politiques et économiques.
(1)Les cinq sites modélisés sont les baies de la Fresnaye, Saint-Brieuc, Lannion, Guissény et Douarnenez.
Sylvain Ballu Tél. 02 96 22 93 50
sylvain.ballu [at] ceva.fr (sylvain[dot]ballu[at]ceva[dot]fr)
Alain Ménesguen Tél. 02 98 22 43 34
alain.menesguen [at] ifremer.fr (alain[dot]menesguen[at]ifremer[dot]fr)
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