L’archéologie prend une nouvelle dimension
Actualité
Des chercheurs ont reconstitué deux sites bretons en trois dimensions : un nouvel outil pour les archéologues.
En chaussettes, affublé de lunettes pour le moins imposantes, un homme se balade sur une petite scène, devant une vingtaine de collègues. Il change de direction, se penche en avant ou regarde le plafond. Il n’est pas acteur mais plutôt cobaye : il se balade virtuellement dans une villa gallo-romaine bretonne grandeur nature.
Une réalité partie de rien
Nous sommes dans la salle immersive de l’espace des technologies innovantes, sur le campus de Beaulieu à Rennes (lire encadré ci-dessous). Les chercheurs de l’Irisa(1) et du centre Inria(2) y ont présenté pour la première fois, le 6 décembre dernier, le fruit d’un travail mené en collaboration avec des archéologues. Sur le mur face à la scène, le sol et le plafond, sont projetées les images d’un site archéologique exceptionnel : la villa gallo-romaine du Bourg Saint-Père, à Bais, en Ille-et-Vilaine. Un petit miracle, car aujourd’hui, les bâtiments sont complètement arasés.
Des granges et sanctuaires
Lorsqu’ils commencent à fouiller le site en juin 2009, les archéologues ne retrouvent en effet que des fondations. Malgré cela, ils constatent qu’il s’agit d’un domaine complet, construit vers la fin du premier siècle avant Jésus-Christ, juste après la conquête romaine et occupé jusqu’au 3e ou 4e siècle. « C’est une exploitation rurale, détaille Dominique Pouille, responsable du chantier(3), il y a la résidence du maître des lieux et, un peu à l’extérieur, des granges : la pars rustica du domaine. Et l’on a aussi mis au jour des sanctuaires, probablement destinés à la collectivité. Tous les éléments d’un domaine type sont réunis. »
Toujours plus de réalisme
Pendant six mois, sur le terrain, les scientifiques prennent des mesures, établissent des plans, relèvent des indices sur les matériaux. Ces données minutieusement récoltées permettent à leur collègue, Gaétan le Cloirec, de proposer une première modélisation du site. C’est elle que les informaticiens ont adaptée aux contraintes de la salle. « Nous ne travaillons pas avec les mêmes logiciels, explique Valérie Gouranton, enseignante-chercheur à l’Insa de Rennes, qui a encadré ce projet, il a fallu faire la transcription d’un langage à l’autre. » Le projet a soulevé des problématiques différentes de celles amenées habituellement par des industriels. « Nous avons modélisé un second site, un cairn situé sur l’île de Carn dans le Finistère. Pour le commun des mortels, il s’agit d’un tas de cailloux. Les archéologues, eux, y voient des ruptures de montage, des indices visuels que seul un œil exercé peut percevoir. Il a fallu travailler sur le réalisme pour s’adapter à ces spécificités. »
Des couloirs assez larges !
Le résultat est un formidable outil de travail pour les archéologues. Le cairn de l’île de Carn menaçant de s’effondrer, ils peuvent envisager de poursuivre leurs travaux en sécurité dans sa copie virtuelle. Quant à la villa de Bais, « ce premier essai nous a permis de confirmer nos hypothèses sur la répartition des bâtiments, poursuit Dominique Pouille, la circulation dans le site et les relations entre les différents espaces. Nous allons essayer d’aller plus dans les détails, d’entrer dans les bâtiments, d’ajouter du mobilier ou les charpentes : même si on ne les a pas retrouvées, nous savons comment elles étaient fabriquées à l’époque. » Les chercheurs de l’Irisa réfléchissent déjà aux solutions pour intégrer des objets et des personnages dans ces lieux virtuels. Et à long terme, cela devrait permettre aux archéologues d’affiner leurs hypothèses, « sur d’autres constructions, mais également sur des paysages, ajoute Gaétan Le Cloirec, pour reconstituer la lande d’il y a plusieurs milliers d’années et comprendre le choix d’emplacement de certains sites par exemple. »
En immersion totale
Inaugurée le 20 juin dernier, la plate-forme de réalité virtuelle Immersia est la troisième dont se dotent l’Irisa et le centre Inria de Rennes et l’une des plus grandes au monde. Avec ses 9,60 m de long sur 2,95 m de profondeur, pour une hauteur de 3,100 m, et son système de projection stéréoscopique, elle permet à ses utilisateurs, des chercheurs mais aussi des industriels, une immersion totale.
(1)Irisa : Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires.
(2)Inria:Institutnational de recherche en informatique et automatique.
(3)De l’Inrap : Institut national d’archéologie préventive.
Dominique Pouille Tél 02 23 36 0062
Dominique.pouille [at] Inrap.fr (Dominique[dot]pouille[at]Inrap[dot]fr)
Valérie Gouranton Tél. 02 99 84 22 18
valerie.gouranton [at] irisa.fr (valerie[dot]gouranton[at]irisa[dot]fr)
TOUTES LES ACTUALITÉS
du magazine Sciences Ouest