Les robots se diversifient et s’immiscent dans les filières “agri et agro” pleines de nouveaux défis à relever.
Avec leurs bras articulés, armés d’un pistolet à peinture ou d’une visseuse, les robots ont longtemps été l’apanage des industries manufacturières, de l’automobile ou de l’électronique. Et puis un jour, on a eu l’idée de remplacer la peinture par de l’huile... et les bras robotisés ont commencé à investir les usines agroalimentaires. Il y a vingt ans seulement.
Pas deux morceaux de viande pareils
L’émergence récente de ce phénomène a plusieurs explications. Les conditions de travail particulières de la filière : le froid et l’humidité, qui règnent souvent le long de la ligne de production, ainsi que les lavages et les désinfections, inhérents à la manipulation de produits alimentaires, ne sont pas toujours compatibles avec la machinerie des robots. Par ailleurs, la variété des produits initiaux à traiter - il n’y a pas deux morceaux de viande qui se ressemblent ! - et l’irrégularité de la production : saisonnalité, conditionnements multiples (il existe souvent plusieurs références ou tailles pour un même produit) sont autant de freins au développement de solutions standardisées. « On n’est pas du tout dans le contexte de l’industrie automobile où les objets à assembler sont tous bien calibrés, souligne Jean-Marc Thouélin, conseiller technologique à l’Institut Maupertuis, à Bruz. Et en robotique, s’adapter à la variété des produits signifie qu’il faut rendre la machine plus intelligente en l’équipant de capteurs ou de caméras... »
Une fois les produits standardisés
Les usines agroalimentaires ne représentaient que 4 % du marché mondial des robots en 2011. Et ceux-ci se font encore rares au cœur même du processus de fabrication. On les trouve surtout en bout de ligne de production, une fois que les produits ont été standardisés, c’est-à-dire emballés. Ils effectuent principalement des tâches de manutention : emballage secondaire (palettisation), chargement ou déchargement...
« Les industries agroalimentaires et l’agriculture ne sont pas le vecteur d’innovation principal des Étic(1), mais elles représentent un potentiel d’applications important », affirme Tiphaine Leduc, chargée de mission à la Meito(2). D’où le lancement du programme Agrétic, piloté par la Meito, en lien étroit avec la stratégie de Bretagne Développement Innovation, les acteurs de l’agroalimentaire et la Chambre d’agriculture de Bretagne, destiné à croiser les compétences de ces deux filières importantes en Bretagne. Soutenu par la Région Bretagne et l’État pour une période de quatre ans (2011-2014), Agrétic a pour objectif de favoriser l’émergence de solutions Tic innovantes pour renforcer la compétitivité des filières agroalimentaire et agricole. Certaines sont déjà en cours (projet de maternité porcine du futur dans le cadre de l’amélioration des performances énergétiques d’installation en agriculture, d’autres sont encore à la phase de mise en contact des différents acteurs. « Nous allons, par exemple, faire visiter des usines agroalimentaires à des entreprises issues des Tic, pour les aider à imaginer des solutions d’amélioration de tâches difficiles, comme l’abattage », ajoute Tiphaine Leduc.
Compétitivité, traçabilité, TMS
Et il reste beaucoup à faire en France où la robotique génère surtout des peurs quant à l’emploi. Dans le contexte économique actuel, l’automatisation de certaines tâches peut pourtant permettre de gagner en compétitivité, ou d’éviter des délocalisations pour cause de main-d’œuvre moins chère. Elle crée aussi de nouveaux métiers. En agroalimentaire, beaucoup d’attentes concernent aussi la traçabilité, le contrôle qualité, mais également la sécurité et les conditions de travail (on observe, par exemple, beaucoup de Troubles musculosquelettiques - TMS), et les robots peuvent apporter des solutions. Fabriqués avec des matériaux lavables, équipés de housses ou de gants, ils commencent à être conçus pour s’adapter à ces environnements particuliers. Certains effectuent des opérations de calibrage, pesée, découpe... sur les lignes de production des usines agroalimentaires ; d’autres sont déjà dans les étables (robots de traite), ou cherchent même à investir les champs.
Les robots améliorent le confort de travail des agriculteurs. Il existe des robots pour la traite ou qui préparent et distribuent le fourrage. Celui-ci nettoie les caillebotis dans une ferme à Bréhan (Morbihan).© DAMIEN MEYER-AFPUne nouvelle façon de voir la robotique
Une autre tendance, qui n’est pas propre à l’agroalimentaire, est aussi en train de changer la donne : il s’agit de l’arrivée sur le marché de robots plus petits, plus faciles à programmer et à déplacer que leurs énormes aînés et surtout... moins chers.
« C’est une nouvelle façon de voir la robotique, poursuit Jean-Marc Thouélin. Tout d’abord parce que ces robots plus légers offrent de nouvelles perspectives de travail : un opérateur peut être posté juste à côté ; mais aussi parce que leur programmation devient plus aisée. Les entreprises ne seront plus obligées d’avoir en interne des compétences en robotique pour les faire évoluer. »
Montrer que la robotique n’est pas forcément coûteuse et compliquée et qu’elle peut s’adresser aux PME/PMI, nombreuses sur le territoire breton, est justement l’objectif de Bretagne Développement Innovation et Valorial sur le stand du Carrefour des fournisseurs de l’industrie agroalimentaire (CFIA), qui se tient tous les ans à Rennes, au mois de mars : un démonstrateur mis au point par l’Institut Maupertuis illustre le concept. À ses côtés, un bras robotisé, apporté par le laboratoire CEA List (Fontenay-aux-Roses), devrait convaincre les industriels des atouts de la cobotique, qui conjugue robotique avec travail collaboratif. Le robot ne prend plus la place de l’homme. Il travaille avec lui.
La cobotique, c’est fantastique !
Résultat de l’association des mots : collaboratif et robot, la cobotique est développée depuis quatre ans dans le laboratoire CEA List de Fontenay-aux-Roses, historiquement spécialisé dans le domaine nucléaire. « Pour éviter à un opérateur d’aller dans un environnement dangereux, explique Frédéric Colledani, il pilote un robot maître qui communique ses gestes au robot esclave qui, lui, est sur place. Mais la distance n’est quand même pas idéale. D’où l’idée de rassembler l’homme et le robot au même endroit. » Le premier guide et contrôle, le second fait l’effort. Le port de charges et l’amplification d’efforts sont les applications les plus directes, grâce, par exemple, à un exosquelette : sorte d’armature dans laquelle un opérateur vient se glisser, ou un bras.
Les premiers cobots sont en place depuis seulement un an dans des usines de mécanique, où ils aident les ouvriers pour les opérations de meulage, en exerçant à leur place l’effort de 20 kg. Mais l’expertise humaine est toujours indispensable. Dans le domaine de l’agroalimentaire, la découpe de carcasses de bœufs se prêterait bien à la “cobotisation”.
Un bras de l’exosquelette fera des démonstrations sur le stand de Bretagne Développement Innovation, au CFIA (Carrefour des fournisseurs de l’industrie agroalimentaire) du 12 au 14 mars.
(1)Étic : Électronique, télécoms, informatique et communication.
(2)Meito : Mission pour l’électronique, l’informatique et les télécommunications de l’Ouest.
Jean-Marc Thouélin Tél. 02 99 57 17 64
jean-marc.thouelin [at] institutmaupertuis.fr (jean-marc[dot]thouelin[at]institutmaupertuis[dot]fr)
Tiphaine Leduc Tél. 02 99 84 85 00
t.leduc [at] meito.com (t[dot]leduc[at]meito[dot]com)
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