La moule, un aliment sauvage
Actualité
La nature revient en force dans notre alimentation et les produits de la mer bénéficient de cet attrait du sauvage.
Des moules, des ormeaux... Ce ne sont pas vraiment les premières espèces qui viennent à l’esprit quand on parle d’aliments sauvages ! Et pourtant, les produits issus de la mer bénéficient d’un regain d’intérêt, en partie grâce à ce facteur.
L’ormeau, par exemple, a longtemps été considéré comme « la nourriture des pauvres, explique Fabien Riera, ethnologue à l’Université de Bretagne Occidentale, lors du colloque Se nourrir, qui s’est tenu à l’Université Rennes 2 du 22 au 27 avril dernier, il est aujourd’hui très apprécié des gastronomes. » Un revirement de situation relativement récent.
« L’ormeau a subi plusieurs grosses pertes de populations sur les côtes de la Manche à cause du froid de l’hiver de 1963 conjugué à une surpêche et plus récemment à une bactérie », poursuit le doctorant. À partir de cet instant, les scientifiques se sont intéressés à l’espèce et la pêche a été interdite. « Des techniques inspirées des pratiques japonaises ont permis de réensemencer partiellement le milieu naturel, mais pas d’effacer l’impact anthropique. L’espèce est alors devenue “domestique”, dépendante de l’homme. » Mis en avant par son statut précaire, l’ormeau a gagné en notoriété et une filière aquacole tente de se mettre en place pour alimenter le marché asiatique entre autres. Les Bretons, eux, disent préférer le “sauvage”. La pêche à pied, de nouveau autorisée mais encadrée, a donc repris. La sauvagerie réside désormais plus dans le mode d’accès à l’aliment que dans sa nature profonde !
La moule, de son côté, n’est pas menacée. Mais elle aussi avait, au départ, mauvaise réputation. « Jusqu’au début du 20e siècle, elle a été dénigrée à cause de sa possible toxicité, même en Bretagne, explique Rita Vianello, également ethnologue à Brest. En Italie, elle est même appelée pou, comme le parasite ! » Suite à une transformation culturelle, la moule est passée du mollusque sale et malsain à un véritable or noir. « Aujourd’hui, elle est considérée comme un aliment local et traditionnel, mais c’est une tradition inventée ! L’élevage n’a été importé en Bretagne que dans les années 50. » Elle devient même synonyme de salubrité car elle vient de la mer, ne subit aucune transformation et est vendue vivante. Comme pour le poisson, l’origine maritime est désormais associée à un aspect sauvage, réhabilité depuis une vingtaine d’années. « L’histoire de l’Occident s’est faite sur une mise à distance de la sauvagerie, conclut Sergio Dalla Bernardina, auteur de L’appel du sauvage(1), mais cette dernière revient aujourd’hui sur le devant, avec l’idée d’un retour à la nature, à l’authenticité. » La moule, symbole du sauvage ?
Fabien Riera, fabien.riera [chez] univ-brest.fr (fabien[dot]riera[at]univ-brest[dot]fr)
Rita Vianello, rita.vianello [chez] univ-brest.fr (rita[dot]vianello[at]univ-brest[dot]fr)
L’appel du sauvage. Refaire le monde dans les bois sous la direction de Sergio Dalla Bernardina, Presses universitaires de Rennes, mars 2012. Lire Sciences Ouest n° 299 - juin 2012.
Fabien Riera, fabien.riera [chez] univ-brest.fr (fabien[dot]riera[at]univ-brest[dot]fr)
Rita Vianello, rita.vianello [chez] univ-brest.fr (rita[dot]vianello[at]univ-brest[dot]fr)
TOUTES LES ACTUALITÉS
du magazine Sciences Ouest