De l’eau mauvaise pour le foie ?

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N° 319 - Publié le 4 avril 2014
Philippe Huguen - AFP

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Un spécialiste de la toxicité hépatique des médicaments pointe les résidus présents dans l’eau du robinet.

Depuis son laboratoire rennais de l’Inserm(1), Bernard Fromenty a lancé un pavé dans la mare... ou plutôt dans l’eau du robinet. L’étude qu’il vient de terminer (dans le cadre d’un projet ANR(2) en toxicologie environnementale(3)) montre les effets de traces de médicaments présentes dans l’eau de boisson sur le foie de souris, en particulier chez celles qui présentent une obésité. Pendant quatre mois (l’équivalent de plusieurs années chez l’homme), elles ont reçu dans leur eau de boisson un cocktail concocté par le chercheur : « En faisant de la bibliographie, j’ai retenu onze médicaments les plus fréquemment retrouvés dans l’eau : paracétamol, ibuprofène, caféine, dérivés de l’aspirine et de la nicotine..., qui ont été mélangés. Nous avons ensuite travaillé avec six concentrations différentes de ce mélange », explique-t-il.

Avec d’autres collègues de l’unité, le chercheur a ensuite étudié l’expression de milliers de gènes dans le foie des souris soumises à la concentration la plus forte. Des analyses plus fines d’expression de certains gènes ont aussi été effectuées dans tous les groupes de souris traitées, obèses ou non. Résultat : un groupe de gènes est significativement touché. Il s’agit des gènes circadiens, responsables, dans certains organes, de la régulation de différents rythmes de l’organisme : temps d’éveil et de sommeil, prise de nourriture, cycle hormonal, métabolisme des glucides et des lipides... Les sujets obèses sont connus pour avoir des dérèglements de certains de ces gènes et on observe donc une perturbation de base chez ces souris. Mais elle est renforcée par l’effet des médicaments. « Tandis que les concentrations du mélange de médicaments les plus faibles correspondent à ce que l’on peut retrouver dans l’eau, la plus forte est inférieure aux doses qui peuvent être prises par certains patients pendant un traitement. Cela pose donc des questions sur la polymédication chez les sujets obèses, si elle aggrave les dérèglements. »

L’étude a aussi révélé d’autres perturbations sur des gènes liés au cycle et au cytosquelette cellulaire. La suite, Bernard Fromenty l’a déjà imaginée : il aimerait pouvoir travailler médicament par médicament, car aujourd’hui il ne sait pas quel est celui qui agit plus que les autres. « Il faut cependant rester prudent quant à l’extrapolation chez l’homme, poursuit le chercheur. Mais cette étude a le mérite d’avoir été menée sur des rongeurs terrestres qui sont peu utilisés dans ce type d’études toxicologiques sur les résidus médicamenteux. Elle pourrait aussi servir de point de départ pour d’autres sujets sensibles comme les femmes enceintes, les jeunes enfants ou les personnes ayant certaines prédispositions génétiques. »

(1)Unité 991 Inserm/Université de Rennes 1 Foie, métabolismes et cancer.

(2)Agence nationale de la recherche.

(3)Mené de 2010 à 2013. Une publication est sortie dans Toxicolgy and Applied Pharmacology, édition en ligne du 11 février dernier.

Bernard Fromenty
bernard.fromenty [at] inserm.fr (bernard[dot]fromenty[at]inserm[dot]fr)

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