La nécropole mésolithique a été découverte dans les années 20. Au fil des nouvelles recherches, son mystère se dévoile.
C’est leur grand retour en Bretagne. Deux squelettes ont été découverts en août 1928 sur l’îlot de Téviec, près de la presqu’île de Quiberon. Les campagnes de fouilles, conduites par les archéologues Marthe et Saint-Just Péquart jusqu’en 1930, ont mis au jour vingt et un squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants dans dix sépultures mésolithiques. Les deux premiers squelettes sont conservés au muséum de Toulouse depuis 1937. Ils font l’objet d’une exposition créée au muséum en 2010, qui arrive le 8 avril à l’Espace des sciences.
Il y a 7400 ans, cinq générations d’hommes et de femmes ont vécu sur cette île, alors rattachée au continent, durant une centaine d’années. Ils ont enterré leurs défunts, dont certains victimes de violence (lire p. 14), dans un amas de coquillages.
« Les fouilles de Marthe et Saint-Just Péquart ont révélé des rites funéraires parmi les plus complexes du mésolithique européen, explique l’archéologue rennais Grégor Marchand(1). Une fosse était aménagée avec des galets, le corps du défunt était habillé de parures de coquillages extrêmement riches, ses jambes repliées. Une parure en bois de cerf était posée sur deux tombes. Le corps était saupoudré d’ocre et des objets y étaient déposés, notamment de grandes pointes façonnées dans des os de mammifères (sanglier ou chien). » Une dalle posée sur le corps, un feu rituel était allumé pour brûler des mandibules de sanglier ou de cerf. Puis un cairn de pierres, préfiguration des futures sépultures mégalithiques, était érigé.
Les croyances du mésolithique
« Les nécropoles comme celles de Téviec sont exceptionnelles, souligne le préhistorien Denis Vialou, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Les rites funéraires y sont extraordinairement développés. Les morts sont enterrés avec toutes leurs offrandes. Ce rassemblement montre ce que les vivants ont voulu mettre en valeur et nous interroge sur la façon de penser des hommes du mésolithique, sur leurs croyances et leur organisation sociale. Ce ne sont pas leurs outils ni leurs comportements de subsistance qui nous l’apprennent - même si l’on est content de savoir comment ils vivaient, s’ils chassaient le lièvre ou le cerf. À Téviec, nous découvrons ce qu’il se passait du côté du cerveau social de ces individus ! »
Une sépulture sans équivalent
Cette plongée dans la civilisation des derniers chasseurs-cueilleurs du littoral, bientôt remplacés par les agriculteurs du néolithique, nous arrive des années 30 grâce aux Péquart. Ces amateurs éclairés, originaires de Nancy et formés en Bretagne à l’archéologie par Zacharie Le Rouzic(2), étaient des pionniers de l’archéologie funéraire (fouilles minutieuses, notes systématiques, croquis, photos, films). Leurs découvertes ont été validées par les célèbres paléontologues Henri Valois et Marcellin Boule(3) et ont fait l’objet d’une publication de référence en 1937(4).
Mais le passé collaborationniste de Saint-Just Péquart, condamné à la Libération et fusillé en septembre 1944, a jeté une ombre sur ses recherches. « Les Péquart ont une histoire dramatique, rappelle Gaëlle Cap, responsable de l’exposition au muséum de Toulouse. Leurs découvertes ont été niées pendant des décennies, notamment celles de Téviec. L’exposition remet en lumière la qualité de leur travail. Car cette sépulture n’a pas d’équivalent aujourd’hui. Elle s’intègre dans une nécropole avec des inhumations multiples qui nous posent des questions : pourquoi a-t-on enterré ces personnes ensemble et quelle est la cause de leur mort ? »
L’exposition toulousaine(5) et les découvertes réalisées à cette occasion ont relancé l’intérêt pour Téviec. Depuis quelques années, l’enquête se poursuit aussi, là où se trouvent les restes des squelettes, notamment à l’Institut de paléontologie humaine, à Paris. Moins connue du grand public que Gavrinis, dont le cairn a été érigé 1700 ans plus tard, Téviec dévoile peu à peu sa légende, aussi fabuleuse que celle des civilisations suivantes.
Une île, sa plage et ses oiseaux
Au mésolithique, le niveau de la mer était 12 m plus bas qu’aujourd’hui. Téviec était une pointe rocheuse. Aujourd’hui, c’est une île privée dont la plage attire l’œil depuis l’isthme de Penthièvre. Protégée par un arrêté de biotope(6), Téviec héberge une colonie de 300 couples de goélands argentés, marins et bruns, suivis par les ornithologues de Bretagne Vivante. Des cormorans huppés et des huîtriers pies nichent sur les îlots périphériques. Au milieu d’une végétation fragile, parmi les graminées du centre de l’île, subsistent les ruines d’une maison de goémonier et les restes d’un four à goémon.
La zone de 300 m2 explorée par les Péquart se situe en contrebas du sommet de l’île. C’est ici que vingt et un défunts, parés de milliers de coquillages multicolores, ont été découverts, parmi des kyrielles de lames de couteau en silex, des milliers de flèches, des dizaines de haches, des stylets en os, des galets outils. Cet univers spirituel était peut-être notre premier cimetière marin, face à l’ouest où se dresse la silhouette de l’île de Groix.
(1)Laboratoire Archéosciences, Université de Rennes 1.
(2)Zacharie Le Rouzic était le conservateur du musée de Préhistoire à Carnac.
(3)Cocréateurs et directeurs de l’Institut de paléontologie humaine
(4)Marthe et Saint-Just Péquart, Marcellin Boule, Henri Valois : Téviec, station-nécropole mésolithique du Morbihan, archives de l’Institut de paléontologie humaine, éditions Masson, 1937, 227 pages.
(5)À l’Espace des sciences jusqu’au 31 août.
(6)Créé par le préfet, à la demande d’associations de protection de la nature, un arrêté de biotope interdit l’accès d’un site pour en préserver l’habitat naturel et l’équilibre écologique.
Denis Vialou Tél. 01 55 43 27 20
dvialou [at] mnhn.fr (dvialou[at]mnhn[dot]fr)
Gaëlle Cap Tél. 05 67 73 83 03
Gaelle.cap.jedikian [at] mairie-toulouse.fr (Gaelle[dot]cap[dot]jedikian[at]mairie-toulouse[dot]fr)
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