Les biologistes se penchent sur les mécanismes génétiques et moléculaires qui régissent la production des spermatozoïdes.
Ils sont si petits et pourtant ! On estime qu’il faut des centaines de protéines pour réaliser la chaîne de production des spermatozoïdes, de A à Z. Donc autant de gènes codant pour leur synthèse. Avec son équipe, le biologiste Michael Primig a déterminé une liste de 80 gènes qu’il souhaiterait étudier de près, pour mieux comprendre la machinerie humaine. Il s’attelle en ce moment au premier de la liste.
De la levure à l’homme
« En travaillant sur la levure, un champignon unicellulaire, nous nous sommes rendu compte que ce gène, qui contrôle la fabrication d’une enzyme, était essentiel pour que les cellules germinales, première étape de la chaîne de production, puissent pousser normalement et faire des gamètes. » Ce gène, l’homme le possède également, sous le nom d’Exosc10. « C’est étonnant car la distance évolutive entre la levure et l’homme est... grande ! » Si nous l’avons conservé dans notre génome, cela peut souligner son importance. Les chercheurs ont donc poursuivi leurs recherches sur des souris, plus proches de nous. « Nous avons voulu créer des souris mutantes, qui ne possèdent plus ce gène. Mais les embryons obtenus ne pouvaient pas se développer. C’est ainsi qu’on a compris que le gène en question était déjà important pour l’embryogenèse. Ce qui nous a permis d’espérer qu’il le serait aussi pour la formation des gamètes chez les souris adultes. »
Des testicules quatre fois plus petits
Pour obtenir des souris adultes, les chercheurs ont affiné leurs mutants : des souris chez lesquelles ce gène est détruit uniquement dans les cellules germinales visées. Les rongeurs ainsi créés pouvaient grandir normalement. Ou presque. « Les mâles obtenus présentent des testicules qui font le quart du volume normal. » Sans le gène, la spermatogenèse n’aboutit pas. « On suppose qu’il joue un rôle au début du processus, en empêchant ultérieurement la production efficace de spermatozoïdes. Ou alors son absence pourrait être à l’origine de la production de spermatozoïdes abîmés. »
Des souris pratiques mais petites
« Ce que l’on aimerait comprendre maintenant, c’est ce qu’il se passe au niveau moléculaire, lorsque ce gène est défectueux. L’enzyme dont il contrôle la synthèse est chargée de digérer et d’éliminer des ARN non codants : des portions de génome traduites mais qui n’aboutiront jamais à des protéines. L’absence de cette enzyme dans une cellule entraîne des problèmes de division cellulaire(1). » Dans leur laboratoire, les scientifiques veulent mettre au jour le rôle de ces ARN lorsqu’ils s’accumulent dans les cellules. « Aujourd’hui, on essaye de récupérer suffisamment de matériel biologique pour mesurer la totalité des ARN présents dans les testicules mutants et normaux. Nous voulons voir sur l’expression de quels ARN en particulier l’enzyme a une influence. Le problème, c’est que les souris sont petites, avec de petits testicules. » En parallèle, l’équipe entame déjà l’étude d’un second gène Sox30, également sur des mutants de souris, actuellement en préparation au Texas (États-Unis). Chez l’homme, la présence de mutations sur ce gène pourrait expliquer des problèmes de fertilité non résolus. La route est encore longue avant de connaître tous les secrets de fabrication d’un spermatozoïde !
La toxicité détectée grâce aux gènes
Comprendre comment fonctionne un organe en remontant jusqu’à l’analyse de son génome est une technique très intéressante quand on peut traiter de gros volumes de données informatiques. C’est le cas de Frédéric Chalmel, spécialiste de génomique et de bio-informatique à l’Irset(2). Le chercheur a eu l’idée de recenser toutes les signatures génomiques des composés chimiques qui avaient été étudiées dans le monde entier. Il en a trouvé près de 6000. « Ces signatures génomiques me permettent de classer ces substances par grandes familles, explique-t-il. J’ai aussi rentré les informations sur leurs effets toxiques quand ils étaient connus. » Une fois sa base de données constituée, le chercheur peut alors prédire les effets toxiques de certains composés chimiques sur le testicule sur la base de leur signature génomique.
À plus long terme, une autre stratégie consistera à enrichir la base de données avec de nouvelles séquences d’ADN afin d’affiner la classification de ces molécules. Frédéric Chalmel pense notamment aux ARN non codants et aux altérations épigénétiques induites par une exposition à ces substances chimiques.
Cette approche toxicogénomique très large est originale. Elle a valu à Frédéric Chalmel d’être le seul chercheur breton à décrocher un financement de la Fondation pour la recherche médicale (FRM) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)(3). Le Rennais a aussi reçu un prix européen qui lui sera remis à Florence (Italie) au mois de mai prochain.
Tél. 02 23 23 58 02
frederic.chalmel@univ-rennes1.fr
(1) Elle est également ciblée par un médicament utilisé dans le traitement de certains cancers.
(2) Dans l’équipe Environnement viral et chimique, reproduction dirigée par Nathalie Dejucq-Rainsford.
(3) Avec la plate-forme de bio-informatique de GenOuest et l’école vétérinaire de Nantes (Oniris).
Michael Primig
Tél. 02 23 23 61 78
michael.primig [at] inserm.fr (michael[dot]primig[at]inserm[dot]fr)
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