Des postures ultraprécises

N° 331 - Publié le 7 mai 2015
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Filmée par la Kinect seule, l'assemblage d'une pièce sur un dossier de siège de voiture se traduit par le squelette jaune (1). Le logiciel de capture/correction du mouvement mis au point par les chercheurs permet d'y ajouter le calcul de la fiabilité des données articulaires, représenté par des couleurs : fiable en bleu, non fiable en rouge. Et de reconstruire la bonne posture sur un humain virtuel (2). Occultée par le siège, la main gauche du squelette jaune n'avait pas en effet la posture de l'image de référence (3).

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Des spécialistes du mouvement ont détourné l’utilisation d’un accessoire de jeux vidéo pour leurs recherches.

La Kinect, vous connaissez ? C’est un système développé par Microsoft pour remplacer les manettes des jeux vidéo. Plus besoin de s’acharner avec ses pouces, il suffit de bouger devant son écran : la manette, c’est le joueur. Grâce à un projecteur infrarouge et un capteur spécifique, cette caméra repère les profondeurs, dans un espace de 2 m3 environ. Un logiciel analyse l’image pour repérer une silhouette, dégager la position des différentes articulations du corps et générer un squelette 3D. Pour un prix abordable ! Exactement ce dont avaient besoin les chercheurs du laboratoire Mouvement sport et santé(1), situé sur le campus de Ker Lann, à Bruz, pour certains de leurs projets.

Un système fiable mais encombrant

« Avec une caméra classique, il n’est pas possible d’évaluer l’évolution précise de la posture dans l’espace au cours du temps », précise Franck Multon, responsable de l’équipe MimeTic(2), Analyse, modélisation et simulation du mouvement. Dans son laboratoire, l’équipe dispose bien d’un système très performant, le Vicon(3). Il s’agit de marqueurs à placer sur la personne en mouvement, qui sont repérés par une batterie de caméras infrarouges(4). Un dispositif fiable mais très coûteux et peu transportable ! « L’idéal ce serait des rayons X, mais ça n’est pas possible ! »

Pour l’ergonomie des postes de travail

La Kinect est une aubaine, mais ça n’est pas parfait ! « Elle est conçue pour capter une image droit devant elle, explique Pierre Plantard, actuellement en thèse au laboratoire et dans l’entreprise Faurecia(5), qui conçoit des sièges de voitures. Pour étudier l’ergonomie des postes de travail dans l’usine, les endroits où je peux placer la caméra sont restreints ! » Le doctorant a donc testé les performances du système qu’il soit placé en bas, en hauteur ou sur un côté. « Finalement, c’est en hauteur que ça fonctionne le mieux. » Autre hic : « Si je mets un bras derrière mon dos, la caméra ne le voit plus. Et si je penche mon buste en avant, le logiciel ne reconnaît plus rien, le squelette qu’il renvoie est une boule ! »

Les pieds dans le tapis

C’est là qu’interviennent les connaissances des chercheurs en sciences du mouvement. « Nous corrigeons les erreurs et nous augmentons la précision de la mesure, explique Franck Multon. Pour cela, nous utilisons des centaines de gestes d’ouvriers, que nous avons filmés avec notre système Vicon, décomposés en 500000 postures et stockés dans une base de données. Notre logiciel repère si l’info envoyée par la Kinect est erronée (si la longueur d’un bras augmente de dix centimètres entre deux images, c’est qu’il y a un problème !) et recherche dans cette base les positions qui peuvent correspondre. La posture la plus proche de la réalité sera une moyenne de ces positions possibles. »

Un homme marche sur un tapis roulant. Bien en face de lui, la Kinect filme. « Ici, la position de la caméra ne pose pas de problème, confirme Franck Multon, par contre, le logiciel a du mal à distinguer le pied du tapis, lors de l’appui. » Or, c’est justement ce qui intéresse les chercheurs, qui veulent mesurer la symétrie de la marche. « Pour la rééducation mais aussi parce que certaines pathologies neurodégénératives peuvent être diagnostiquées grâce à l’asymétrie de la marche : c’est l’un des tout premiers symptômes. » Avec des équipes anglaises(6) et québécoises(7), les Rennais ont trouvé la parade : « Nous avons calculé qu’il y a une corrélation très fine entre les mouvements des genoux et ceux des pieds, donc nous corrigeons. Nous ne saurions pas mettre au point un logiciel d’analyse d’images, par contre nous savons améliorer l’existant ! » Microsoft n’imaginait sûrement pas que son système susciterait un tel engouement dans les laboratoires.

La première caméra pour filmer le mouvement !

En 1889, Étienne-Jules Marey, physiologiste français, a mis au point un système permettant de synchroniser l’avancée d’un film celluloïd et l’ouverture de l’obturateur d’un appareil photo : la chronophotographie. Son invention lui permet de capter en détail les mouvements. C’est à partir de ces images, et d’autres expériences qu’il a menées avant, que le mouvement est décomposé et défini comme une suite de postures. Pour la première fois, on a pu voir comment un chat s’y prend pour retomber sur ses pattes ! Ces travaux ont influencé la science, mais aussi les arts, notamment les premiers films.

Céline Duguey

(1) Laboratoire Université Rennes 2, ENS Rennes Bretagne, Université de Rennes 1, Université de Bretagne Occidentale.

(2) Équipe commune Inria, Université Rennes 2, ENS Rennes Bretagne, Université de Rennes 1. (3) Produit par Oxford Metrics.

(4) Lire Sciences Ouest n° 327 - janvier 2015 et n° 274 - mars 2010.

(5) Dans le cadre d’une thèse Cifre - Conventions industrielles de formation par la recherche.

(6) Imperial College London, Faculty of Medicine et Northumbria University à Newcastle.

(7) Université de Montréal, Département d’informatique et de recherche opérationnelle.

Franck Multon
Tél. 02 90 09 15 80
franck.multon [at] irisa.fr (franck[dot]multon[at]irisa[dot]fr)

Pierre Plantard
pierre.plantard88 [at] gmail.com (pierre[dot]plantard88[at]gmail[dot]com)

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