L’huître productrice de données

N° 346 - Publié le 14 novembre 2016
DR
Cette image n’est pas celle d’un tapis persan !
Elle représente l’évolution des estimations des vitesses d’ouverture et de fermeture d’un lot de seize huîtres à Locmariaquer (Morbihan), mesurées de début mars à la fin d’août 2011.
Le rouge figure les vitesses élevées, le gris-vert les vitesses plus lentes et le jaune-blanc les vitesses très lentes.
On remarque tout de suite le motif cyclique, de vague, qui correspond au rythme de balancement des marées.
Par ailleurs, la zone plus rouge, en haut de l’image, met en évidence une accélération associée à une perturbation environnementale.
Le bas de l’image, plus clair, au mois de juillet-août, correspond à la période de ponte.

En traitant un million de données par jour, des mathématiciens prouvent que les huîtres sont de bons bio-indicateurs.

À part les déguster, que peut bien

faire un mathématicien avec des huîtres ? L’expérience que nous raconte Gilles Durrieu, professeur en mathématiques appliquées et statistique à l’Université Bretagne Sud(1), commence quand il est contacté par des collègues chercheurs de la Station biologique d’Arcachon(2). Ceux-ci souhaitent utiliser les huîtres comme bio-indicateurs de perturbations de l’environnement. Ces mollusques bivalves (dotés d’une coquille en deux parties) s’ouvrent et se ferment toute la journée pour filtrer l’eau, et les biologistes ont émis l’hypothèse que ce mécanisme pouvait être perturbé par une pollution, un changement de température... Bref, ils veulent quantifier le phénomène et, pour cela, ils ont besoin de chiffres ! Mais comment un mollusque peut-il produire des données ?

Des électroaimants sur les huîtres

Les chercheurs ont collé des électro-aimants sur les huîtres. Rien de dangereux pour elles : il s’agit juste de capteurs de valvométrie, capables de différencier les états d’ouverture et de fermeture. Des lots de seize animaux ont été équipés dans dix-sept sites répartis en France, Espagne, Nouvelle-Calédonie et Russie, selon différents niveaux de pollution environnementale. Chaque lot d’huîtres est connecté à deux cartes électroniques à faible consommation d’énergie (elles peuvent être installées partout et ont une année d’autonomie) qui stockent les données. Celles-ci sont ensuite envoyées chaque jour vers une station de travail grâce à une carte Sim ! Et c’est là que l’histoire se complique.

« Nous avons choisi des capteurs à haute fréquence, c’est-à-dire qui effectuent dix mesures par seconde, explique Gilles Durrieu. Chaque lot envoie ainsi un million de données par jour ! » Quinze jours de données représentent 1,54 Go de fichier texte ! De quoi occuper Sami Capderou, en deuxième année de thèse entre les laboratoires de mathématiques de Vannes et de Bordeaux(3).

Dix mesures par seconde

Les chercheurs ont en effet développé les modèles capables de traiter les données tous les jours. « Nous avons commencé par établir une estimation de la vitesse de chaque animal pour avoir une idée de la “normale”, poursuit Gilles Durrieu. Puis nous comparons ces vitesses entre elles, pour mettre en évidence des différences, nous les compilons avec d’autres données de terrain comme la température, la salinité, le pH, le balancement des marées. Nous échangeons avec le Service hydrographique de la marine, des biologistes, des astrophysiciens... » Des mesures de l’activité enzymatique ont aussi été faites par des biologistes sur d’autres huîtres placées sur les mêmes sites pour faire d’autres corrélations. Et il y en a. Au bout de deux ans, les chercheurs peuvent dire que les variations de vitesses d’ouverture et de fermeture des huîtres sont liées aux marées. « C’est la première fois que ce phénomène est clairement mis en évidence chez les huîtres », ajoute le mathématicien. Les recoupements se font aussi avec des événements polluants ou des changements de température.

Des publications sont encore en cours et il reste une année de thèse. Mais cette expérience a d’ores et déjà prouvé que le traitement de données massives peut permettre de surveiller des bio-indicateurs. Et que la méthode pourrait très bien être adaptée à d’autres bivalves, d’eau douce, par exemple. Les moules des rivières n’ont qu’à bien se tenir !

Nathalie Blanc

(1) Au Laboratoire de mathématiques de Bretagne Atlantique (CNRS, UBS).
(2) De l’équipe de Jean-Charles Massabuau, directeur de recherche au CNRS.
(3) Encadré par le professeur Bernard Bercu.

Gilles Durrieu
tél. 02 97 01 71 78
gilles.durrieu@univ-ubs.fr

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