Ils attaquent la niche tumorale

N° 347 - Publié le 8 décembre 2016
Nicolas Guillas
Les chercheurs rennais Karin Tarte et Frédéric Mourcin signent un article dans Cell, la première revue mondiale de biologie.

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Des chercheurs en immunologie ont réussi à inhiber une cellule cancéreuse… et celles qui la font vivre.

C’est une stratégie de guerre totale contre certains cancers que des chercheurs en immunologie ont mis au point. Elle consiste à utiliser des cellules tueuses, chargées d’une arme nouvelle, pour bloquer les cellules tumorales et neutraliser le microenvironnement qui les fait vivre. Cette méthode franco-américaine fait l’objet d’un article dans la revue Cell. En soi, c’est déjà un événement : pour que la première revue mondiale de biologie présente vos travaux, ils doivent changer la vision d’un domaine de recherche ! En l’occurrence l’immunothérapie, notamment la lutte contre les lymphomes.

Ces cancers touchent des ganglions et sont les sixièmes les plus fréquents en France. À Rennes, Karin Tarte, professeur d’immunologie et responsable de l’UMR(1) Microenvironnement et cancer(2), signe l’article avec Frédéric Mourcin, chercheur à l’Établissement français du sang. Leur groupe réunit depuis 2013 une vingtaine de scientifiques(3), en collaboration avec Hans-Guido Wendel, du centre de recherche MSKCC(4), à New York.

La cellule n’a plus de frein

Les scientifiques savaient déjà, depuis 2011, que certains lymphomes sont associés à une mutation génétique. Elle a été identifiée chez 40 % des malades. Parmi les milliers de protéines que nos cellules fabriquent, les biologistes ont observé que les patients, ayant cette mutation génétique, n’en produisaient plus une, appelée HVEM(5). Elle manque à la surface de leurs cellules tumorales. Mais quel était le lien exact avec le cancer ? Personne ne le savait. « La présence de cette molécule, sur une cellule normale ou tumorale, induit un signal inhibiteur(6), explique Karin Tarte. La cellule arrête alors de proliférer. L’absence de HVEM a une première conséquence : la cellule tumorale n’a plus de frein, elle n’arrête pas de se multiplier. »

Un enjeu majeur

En 2015, les chercheurs new-yorkais ont montré cet effet direct de HVEM sur la tumeur, chez des souris. Et chez l’homme ? Les Rennais ont testé cette molécule sur des cellules tumorales de patients, mises en culture. La prolifération a été bloquée. Une deuxième conséquence indirecte a été observée, chez la souris et sur des cellules humaines : « HVEM n’a pas seulement un effet sur la cellule tumorale elle-même, mais aussi sur les cellules du microenvironnement de la tumeur. Elle les inhibe. » C’est là que cette recherche prend son importance. Comprendre les niches tumorales, ces milliards de cellules autour de la cellule cancéreuse, qui l’aident à vivre et à se multiplier, est un enjeu majeur en thérapeutique.

« Nous n’avions jamais fait le lien entre une altération génétique et un microenvironnement de soutien », souligne Karin Tarte. En comprenant mieux comment fonctionne une tumeur, cette première a un intérêt clinique : des stratégies thérapeutiques s’en inspireront. Mais cette découverte, à elle seule, n’aurait pas suffi pour convaincre le comité de lecture de Cell de publier ces travaux. Au début de l’année 2016, forts de ces résultats, les chercheurs se sont demandé : comment amener HVEM au bon endroit, dans la tumeur ?

Des cellules tueuses

L’idée a été d’utiliser une stratégie thérapeutique récente, différente de la chimiothérapie, en faisant appel à des cellules tueuses impliquées dans la réponse immunitaire de l’organisme : les lymphocytes T. Les chercheurs les ont prélevées sur le patient, puis modifiées : une molécule qui reconnaît les cellules tumorales y est ajoutée. Ces cellules modifiées sont appelées CAR(7) T-cells. Cette thérapie cellulaire et génétique, lourde mais révolutionnaire, date de 2012. Seulement une centaine de patients dans le monde en ont bénéficié. Le centre de recherche new-yorkais est un leader mondial dans la recherche sur les CAR T-cells.

« Nous utilisons ces cellules tueuses, et ajoutons HVEM à l’intérieur, résume Karin Tarte. Quand la cellule va reconnaître la tumeur, HVEM va la détruire plus efficacement. » Les chercheurs ont prouvé, chez la souris, cette efficacité supérieure pour éradiquer la tumeur. L’étape suivante consistera à le montrer chez l’homme. Les Rennais vont aussi continuer à étudier les caractéristiques de la niche tumorale, chez le patient. Un nouveau concept résume cette stratégie, qui consiste à délivrer des médicaments par des cellules : la micropharmacie.

Nicolas Guillas

(1) Unité mixte de recherche.
(2) Université de Rennes 1, Inserm et Établissement français du sang.
(3) Français, américains, suisses et canadiens.
(4) Memorial Sloan Kettering Cancer Center.
(5) Herpesvirus entry mediator.
(6) Lorsque la molécule se fixe au récepteur de la cellule.
(7) Chimeric Antigen Receptor.

Karin Tarte
tél. 02 23 23 45 12
karin.tarte@univ-rennes1.fr

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