Baleines : de nouvelles voies
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Importants et fragiles, les cétacés sont difficiles à étudier. La génétique et la bioacoustique renouvellent nos connaissances.
Une trentaine de chercheurs en France étudient les mammifères marins. Ces animaux fascinants sont les indicateurs de la qualité du milieu marin. Ils nous alertent sur les changements. Le livre Cétacés. Nouvelles connaissances issues de la recherche française(1) réunit douze contributions des meilleurs spécialistes. Trois sont en Bretagne.
À l’UBO(2) à Brest, Jean-Luc Jung, directeur du laboratoire BioGemme(3), les étudie grâce à la génétique. Sa dernière découverte a eu lieu en mer de Béring. Deux groupes de baleines à bosse vivent près de l’île Karaguinski et, 500 km au sud, autour des îles du Commandeur. En collaboration avec l’équipe d’Olga Filatova de l’université de Moscou, les biologistes brestois ont analysé 181 échantillons de baleines. Jean-Luc Jung et Gaëtan Richard(4) ont montré que les deux groupes, à 500 km de distance seulement, sont génétiquement distincts. Un résultat étonnant pour des groupes voisins d’une espèce migratrice, qui circule des zones subpolaires aux tropiques. Mais la découverte va plus loin. Les scientifiques russes savaient que ces deux groupes de cétacés se nourrissent différemment. Les baleines du Sud engloutissent des petites crevettes, celles du Nord préfèrent les bancs de poissons. L’étude brestoise montre que celles du Sud, pour se reproduire, migrent vers le Mexique, tandis que les autres vont vers le Japon et les Philippines. « La mère apprend au baleineau le chemin pour aller jusqu’à la zone d’alimentation, parfois à 8000 km, explique Jean-Luc Jung. Cette fidélité pour les sites d’alimentation et de reproduction, que notre étude met en évidence à une échelle géographique très fine, est transmise par l’apprentissage. C’est une culture propre à un seul groupe de baleines. »
Culture et génétique
Ces recherches(5) établissent un lien entre l’apprentissage et l’évolution. « Notre étude montre, pour la première fois chez les baleines à bosse, que la culture d’un groupe influe sur son évolution génétique. Jusqu’à présent, le lien entre culture et génétique était connu chez l’homme, notamment à travers l’enzyme d’assimilation du lactose, distribué différemment dans le monde, et chez les orques, dont les chasses particulières induisent, génération après génération, un changement de métabolisme. »
Un autre outil puissant permet de distinguer les espèces de cétacés, et même de les suivre dans le temps : la bio-acoustique. La biologiste Flore Samaran, enseignant-chercheur à l’Ensta(6) Bretagne à Brest, a utilisé cette méthode pour mieux comprendre les baleines bleues de l’océan Indien(7). Ses données proviennent d’un grand réseau d’hydrophones, dont certains mis à l’eau par le navire océanographique Marion-Dufresne. Chaque micro enregistre les sons dans un rayon de 250 km. Flore Samaran a notamment démontré que la zone de distribution des baleines bleues pygmées est plus large que prévue : celles du Sri Lanka vont jusqu’à l’île d’Amsterdam. Quant aux baleines bleues Antarctique, elles remontent jusqu’à Madagascar !
Acoustique et anatomie
Une voie prometteuse fait le lien entre les chants des baleines et leur anatomie. Dorian Cazau est un spécialiste du traitement du signal et du paysage acoustique sous-marin. Aujourd’hui dans l’équipe de Flore Samaran à l’Ensta Bretagne, il a étudié les chants des baleines à bosse de Madagascar(8). « Nous sommes partis de l’anatomie des baleines et nous avons modélisé les mécanismes de production vocale : des modes vibratoires des tissus, nous déduisons les fréquences émises. » Le chercheur s’est intéressé aux “sauts de fréquence”. Chez un chanteur, un saut correspond au passage d’une voix de poitrine à une voix de tête. « Nous avons découvert que les baleines en font énormément. Ces accidents vocaux s’expliquent par des mécanismes anatomiques. » Depuis l’étude des chants des cétacés dans les années 70, les sauts de fréquence étaient pourtant ignorés des chercheurs. « Ils n’en voulaient pas, car ils n’entraient pas dans les catalogues subjectifs d’unités sonores des baleines. » Les scientifiques veulent maintenant savoir si ces variations sont volontaires ou non. Et quels comportements associer à ces chants particuliers.
Le suivi des cétacés en Bretagne
Treize espèces de cétacés, surtout des dauphins et des phoques, ont été observées en Bretagne depuis 2013. La baleine à bosse a été vue une fois. Plusieurs acteurs étudient, portègent au font connaître ces animaux. Parmis eux, l'association Bretagne Vivante participe aux suivis en mer et sensibilise le public. Le réseau national d'échouages compte onze organismes dans la région, dont Océanopolis. Les sciences participatives font vivre toutes les observations ent emps réel. Ces connaissances sont aussi partagées à l'extérieur, à l'image du comité international de l'Ascobans (Accord sur la conservation des petits cétacés de la mer Baltique, du nord-est de l'Atlantique et des mers d'Irlande et du Nord) qui a tenu sa réunion en septembre au Conquet, avec le Parc marin d'Iroise et Océanopolis.
(1) Ce livre est réalisé à l’initiative d’Olivier Adam, professeur à l’Université Pierre-et-Marie-Curie, spécialiste des sons émis par les cétacés. Éditions Dirac, 160 pages.
(2) Université de Bretagne Occidentale.
(3) Biologie et génétique des mammifères marins dans leur environnement.
(4) L’étudiant Gaëtan Richard a été accueilli dans l’équipe d’Olga Filatova et a collaboré avec Jean-Luc Jung à Brest.
(5) Présentées en juillet lors d’un colloque international à l’île de La Réunion (www.hwwc.mg/), ces recherches vont faire l’objet d’une publication scientifique.
(6) École nationale supérieure de techniques avancées.
(7) En collaboration avec le géophysicien Jean-Yves Royer, de l’UBO (lire Sciences Ouest n° 304).
(8) Ces recherches ont été publiées cette année dans Scientific Reports.
(9) crmm.univ-tr.tr.
(10) Réseaux Faune Bretagne et Obsenmer
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