Sous influence de son habitat
Une équipe rennaise montre l’effet du paysage sur la taille et la dynamique des populations du Petit rhinolophe.
Les populations du petit rhinolophe (Rhinolophus hipposideros) sont connues pour être fragiles et ont subi de fortes chutes démographiques dans le nord du continent, pour des raisons encore mal connues, mais en lien avec des modifications de l’habitat. D’après les prévisions de changement climatique, l’aire de distribution du petit rhinolophe devra remonter vers le Nord pour que l’espèce puisse perdurer. La compréhension de l’effet de l’environnement sur sa dynamique de population semble donc cruciale.
Le projet a commencé par une demande de l’Office national des forêts (Onf) qui souhaite adapter les méthodes de gestion forestière autour des gîtes maternels du petit rhinolophe. L’objectif : préserver à long terme cette espèce contre la dégradation et la fragmentation de son habitat.
Le défi d’un suivi non invasif
L’hiver, le petit rhinolophe hiberne. L’été, les femelles se rassemblent sous nos latitudes dans des bâtiments construits par l’homme (greniers, combles) pour pouvoir mettre bas et chasser toutes les nuits généralement dans un rayon de 500 m autour de leur colonie. Pour répondre à la demande initiale de l’Onf de Picardie, l’écologue Pierre-Loup Jan s’est intéressé à ces gîtes de maternité dans le cadre de sa thèse(1) dirigée par Éric Petit à l’Inra de Rennes. « On sait que les bagues blessent le petit rhinolophe et que les prélèvements sanguins sont dangereux pour ces individus, explique le jeune chercheur. On a donc décidé de les suivre avec des méthodes non invasives, c’est-à-dire sans les toucher. » Au programme : comptages d’individus et récoltes d’excréments (guanos).
94 colonies suivies pendant 15 ans
Afin d’étudier l’effet de l’habitat sur cette petite chauve-souris, l’équipe s’est intéressée à deux échelles : celle de l’individu et celle de la population. Pour cela, les chercheurs ont extrait et analysé l’Adn de plus de 15000 échantillons de guanos récoltés en Picardie entre 2013 et 2016 au sein de dix-huit colonies. Ils ont également disposé d’un important jeu de données comprenant le suivi sur 15 ans du nombre d’adultes et de petits en été, issus de quatre-vingt-quatorze colonies(2). Résultats : le paysage influence directement la taille des populations et la survie des juvéniles.
« En zones urbanisées, on a vu que les populations sont plus petites et moins fécondes. De même, quand les petits rhinolophes se regroupent près des surfaces cultivées, leur population tend à décroître et les juvéniles survivent moins », précise Pierre-Loup Jan. Le chercheur indique qu’il est possible que la lumière, plus présente en milieu artificiel, perturbe davantage les individus. Et puis, il évoque l’hypothèse de l’effet direct ou indirect des pesticides utilisés dans les cultures sur les populations de ces chauves-souris. L’effet négatif sur les juvéniles en milieu cultivé illustre bien leur fragilité, « Peu expérimentés, les jeunes n’ont pas encore identifié les milieux intéressants dans le paysage et se risquent dans des zones qui ne leur sont pas propices. »
Par ailleurs, alors que la question de l’effet de la gestion forestière a une grande importance ici, l’étude montre que des arbres plus gros, offrant plus de microhabitats aux insectes, ont un effet favorable à la survie des juvéniles et à la taille des colonies du petit rhinolophe.
Un suivi de la Bretagne à l’Allemagne
En collaboration avec une vingtaine de partenaires européens, l’équipe a suivi quarante-deux colonies échantillonnées sur un axe allant de la Bretagne à l’Allemagne et la Belgique et a détecté une baisse de la diversité génétique. « On a découvert ce phénomène dans vingt-deux colonies. Cela met en péril le maintien à long terme de ces populations, ajoute Pierre-Loup Jan. Cette perte de diversité génétique est certainement due à l’effondrement démographique du siècle dernier, peut-être lié aux changements paysagers faisant suite à la Seconde Guerre mondiale. » Le spécialiste en écologie insiste sur le fait que cette perte, accentuée par le manque de connectivité entre populations, pourrait être compensée par la présence de nombreuses colonies sur un même territoire. Cela nécessite alors la mise en place de réseaux prenant en compte l’habitat favorable à l’espèce.
Aux prémices de sa carrière, Pierre-Loup Jan vise à poursuivre ses recherches qui ont des implications directes sur la conservation du petit rhinolophe. Ainsi, a-t-il prévu de travailler étroitement avec des chercheurs allemands(3) les prochains mois pour observer et mieux comprendre la dynamique de certaines colonies présentant de très faibles diversités génétiques.
(1) Soutenue le 11 décembre dernier à l’Agrocampus Ouest (Inra).
(2) Données récoltées par deux organisations naturalistes (Bretagne Vivante et Groupe mammalogique breton).
(3) Université de Greifswald.
Pierre-Loup Jan
tél. 02 23 48 70 38
pierreloup.jan@gmail.com
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