La quête de nos premiers feux
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En enquêtant sur des sites archéologiques, puis en réalisant des combustions expérimentales analysées au labo, Ramiro March éclaire l’histoire des premiers feux humains.
Dans les mythes fondateurs de nos sociétés, la cuisson des aliments différencie la nature de la culture, nous enseigne Lévi-Strauss. » Pour expliquer la révolution du feu, Ramiro March, chercheur au laboratoire Creaah1 à l’Université de Rennes 1, cite le grand anthropologue. Le brasier est au cœur de notre civilisation : il organise nos foyers, nous socialise et permet de conquérir des milieux hostiles. Les premières traces de contrôle du feu en Europe remontent à plus de 400 000 ans. « Mais nous ne savons pas encore expliquer comment les hommes sont passés de l’utilisation d’un feu naturel à sa domestication. »
Un foyer de 465 000 ans
Pour répondre à cette question, l’archéologue rennais fouille des sites, ici et ailleurs dans le monde. Il analyse certaines des plus anciennes traces de foyers, comme à Menez Dregan2 dans le Finistère. « Nous avons retrouvé des structures de combustion vieilles de 465 000 ans3. Sur une surface brûlée d’environ 60 cm de diamètre, une couche noircie de charbons et de cendres se superpose à des sédiments oxydés4 par la chaleur. Comme après un barbecue en plein air. » Des foyers à cuvette sont plus récents :
« Les hommes ont creusé la terre pour faciliter l’allumage et la conservation du feu. » En Israël, un site de 800 000 ans5 remet en question la date de la maîtrise du feu. « Un ensemble de silex taillés et placés de façon circulaire a été retrouvé brûlé. » Ils ont servi à allumer un foyer…
Reproduire la cuisson d'aliments
Mais « lire dans les traces du feu » est compliqué. Les roches s’altèrent, ainsi que les sédiments et les os. Les indices sont transformés par l’érosion, déplacés par des animaux ou des inondations… Ramiro March réalise des expériences : « Nous reproduisons la combustion de végétaux ou la cuisson d’aliments avec des essences de bois différentes, sur des sols variés6. » Au total, plus de 350 expériences ont déjà été réalisées dans le monde, auxquelles Ramiro March et ses collègues rennais contribuent. L’archéologue compare les combustions expérimentales aux observations des fouilles.
Pour interpréter les indices, Ramiro March a plus d’une corde à son arc. Pour identifier des résidus d’origine végétale ou animale, il utilise des méthodes physico-chimiques, comme la chimie organique. Comment connaître l’état d’altération d’une roche ? Grâce à la diffraction de rayons X et la spectroscopie de Mössbauer7. « Nous pouvons en déduire si la roche a été utilisée pour le chauffage ou la cuisson indirecte des aliments. » Le Creaah va se doter d’un outil appelé spectromètre de masse8. Le laboratoire rennais sera le premier en France à posséder ce dispositif, pour analyser les molécules organiques conservées dans des foyers, des céramiques, des roches et des sédiments. Autrement dit pour découvrir, sous les cendres, les braises qui racontent nos premiers feux.
1. Le Centre de recherche en archéologie, archéosciences et histoire est une composante de l’Osur.
2. Citons aussi les sites de Beeches Pit (Angleterre), Schöningen (Allemagne) et Vérteszöllös (Hongrie).
3. Datation par résonance paramagnétique électronique (RPE).
4. Le fer dans les sédiments s’oxyde à une température d’environ 650 °C.
5. Gesher Benot ya’aqov.
6. Sols argileux ou limoneux, dans des zones humides, froides ou arides.
7. Elle permet notamment l’étude des atomes de fer dans les sédiments.
8. Appelé GC-C-IRMS, il est couplé à un chromatographe gazeux.
Ramiro March, 02 23 23 56 29
ramiro.march@univ-rennes1.fr
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