Les virus sont-ils vivants ?

Carte blanche

N° 397 - Publié le 1 mars 2022
virus
Tania Louis
Carte blanche
Tania Louis
Docteure en biologie-santé, médiatrice scientifique et conceptrice de contenus pédagogiques

Magazine

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J’ai quitté le monde de la recherche il y a plus de six ans. Mais quand j’explique que je faisais de la virologie, on me demande toujours la même chose : « Alors, c’est vivant ou pas un virus ? » Profitons de cette carte blanche pour revenir sur cette question qui ne date pas d’hier. En fait, on se la pose depuis que les virus ont été découverts.

Entité mystérieuse

Dans les quinze dernières années du 19e siècle, différents scientifiques se sont intéressés à la “mosaïque du tabac”, une maladie causée par une entité qui s’avère invisible au microscope, détruite par la chaleur et incapable de se multiplier seule… Mais qui prolifère dans la sève des plants de tabac. Cet agent infectieux est très petit, capable de traverser des filtres suffisamment resserrés pour bloquer les bactéries. En 1898, cette entité mystérieuse est désignée pour la première fois par l’appellation qui deviendra son nom : un virus. La même année, d’autres chercheurs se rendent compte que la fièvre aphteuse du bétail est, elle aussi, due à un virus. C’est un constat sans cesse renouvelé depuis : plus on cherche des virus, plus on en trouve.

Dès le début du 20e siècle, alors qu’on ne pouvait toujours pas les voir ou les cultiver au laboratoire, des dizaines de virus ont été découverts. Étudiés aussi bien par des physiciens que par des chimistes et des biologistes, ils ont suscité de nombreux débats, notamment autour d’une question qui, à l’époque, se posait en ces termes : les virus étaient-ils des entités chimiques ou des entités biologiques ?

Cette formulation peut aujourd’hui prêter à sourire concernant les virus, qu’on considère indiscutablement comme relevant de la biologie. Mais, appliquée à d’autres choses, elle paraît beaucoup plus familière : tel insecticide, engrais, additif ou médicament est-il biologique ou chimique ? Cela dépend du sens qu’on donne à ces deux termes. Une molécule est par définition chimique. Certaines sont produites par des êtres vivants, d’autres par des procédés de synthèse, d’autres par des processus géologiques ou astrophysiques…

Une même molécule peut parfois être obtenue de plusieurs façons, et il est possible de combiner des approches différentes : quand de l’agar-agar1 est produit en appliquant des procédés industriels à des algues, comment faut-il qualifier cette molécule ?

Toute cette confusion découle du fait que les adjectifs “chimique” et “biologique” ne sont qu’une nomenclature créée par les humains pour décrire le monde qui les entoure. Bien définis, ces termes peuvent être des outils de compréhension efficaces, mais la réalité ne rentre pas toujours docilement dans les boîtes qu’on utilise pour la catégoriser.

Pas tous d'accord

On pourrait ainsi penser que se demander si les virus sont vivants est plus pertinent que de s’interroger sur leur nature chimique ou biologique. Mais en réalité les virologues ne sont pas tous d’accord sur la définition des virus et les biologistes ne sont pas tous d’accord sur la définition du vivant. Nous voilà bien avancés !

À titre personnel, je considère que les virus sont vivants et, si vous voulez savoir pourquoi, je vous invite à regarder cette vidéo : bit.ly/VirusVivants. Mais dans l’absolu je trouve que cette réponse est moins intéressante que la question associée, qui invite à la modestie : notre vocabulaire crée des cases dans lesquelles, parfois, il est difficile de ranger le monde.

 

1. Produit gélifiant.

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