La dent, cette oubliée

Carte blanche

N° 406 - Publié le 2 février 2023
Dent
Pixabay
Martine Bonnaure-Mallet
Carte blanche
Martine Bonnaure-Mallet
Chirurgien-dentiste au CHU de Rennes et professeure à l’Université de Rennes. Elle a été promue au grade d’Officier dans l’ordre national du Mérite en novembre 2022.

De nombreux défis se concentrent sur l’alimentation, le bien-être ou encore les microbiotes… Mais qu’en est-il de la bouche et de ses habitantes, les dents ? Car mieux vaut avoir des dents saines pour être en bonne santé et sourire en société !

L’utilité d’avoir des dents

Peu d’écrits sont consacrés à l’histoire de la dent. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’utilité d’avoir des dents. Le nouveau-né est en général édenté et le reste durant six mois environ, après avoir pleuré car “faire ses dents” est douloureux. Puis, deux dentures se succèdent : la denture temporaire avec 20 dents de lait et la denture définitive avec 32 dents. La présence des dents entraîne aussi parfois des souffrances. On parle notamment de rage de dents. La peur du dentiste est très forte dans la population ; les rendez-vous sont souvent pris dans l’urgence et dans le cas extrême nous réalisons des extractions et aboutissons au senior édenté. Est-ce normal au 21e siècle ?

Les pathologies de la cavité buccale sont majoritairement des maladies bactériennes. Elles résultent de l’accumulation de bactéries sur les surfaces dentaires qui forme la plaque dentaire, appelée biofilm. Il n’est plus à démontrer que le brossage des dents pendant deux minutes deux fois par jour et l’utilisation de brossettes inter-dentaires réduisent le risque de carie, de gingivite et de parodontite. En effet, les bactéries néfastes n’ont pas le temps en 12 heures de s’installer et d’exprimer leurs facteurs de virulence pour causer la maladie.

Une bouche sale induit un passage massif de bactéries dans le sang. Certaines résistent aux antibiotiques et peuvent trouver une nouvelle résidence, loin de la cavité buccale : dans l’endocarde1 par exemple, elles engendrent une endocardite infectieuse.

700 espèces bactériennes

Une mauvaise hygiène peut donc s’avérer dramatique. Notre bouche abrite naturellement plus de 10 milliards de micro-organismes, majoritairement des bactéries dont 6 milliards sont renouvelées en deux heures. Ces microbes constituent le microbiote buccal2 dont la diversité est impressionnante : plus de 700 espèces bactériennes ont été répertoriées. Si certaines d’entre elles sont bénéfiques pour la digestion des aliments, la protection de la cavité buccale ou encore pour la diminution de la pression artérielle, d’autres sont responsables de maladies parodontales. Et de plus en plus de travaux révèlent que ces maladies favorisent un grand nombre de troubles extra-oraux potentiellement mortels. Nos recherches démontrent que traiter le diabète permet une réduction de l’inflammation parodontale et, inversement, traiter la maladie parodontale facilite l’équilibre d’un diabète. Ceci est vrai pour les pathologies

cardio-vasculaires, mais aussi pour les pathologies ostéo-articulaires et neurodégénératives.

Développer une vraie politique

Il est de notre devoir d’avertir qu’une parodontite liée à une mauvaise hygiène bucco-dentaire a des conséquences sanitaires sérieuses. Mais qui nous entend ?

Aujourd’hui, et pour la première fois, nous avons en France un ministère de la santé et de la prévention et nous nous en réjouissons. Puisse être l’occasion de développer une vraie politique de prévention de la santé dentaire avec des objectifs clairs sur un temps long, hélas plus long qu’un mandat sénatorial… Des économies de risques pour les patients et des coûts pour l’assurance maladie pourraient être au rendez-vous. Ce serait une aubaine d’intégrer la cavité buccale aux futurs programmes de prévention ! En attendant, pour rester en bonne santé, prenez soin de vos gencives dentées.

1. Tunique interne du cœur tapissant l'intérieur du myocarde.

2. En référence au microbiote intestinal qui désigne la flore intestinale.

TOUTES LES CARTES BLANCHES

Abonnez-vous à la newsletter
du magazine Sciences Ouest

Suivez Sciences Ouest