Une BD sur le remembrement
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Durant la deuxième moitié du 20e siècle, le remembrement rural en Bretagne a fortement et durablement modifié le monde paysan. Les conséquences de ce bouleversement font l’objet d’études historiques, sur lesquelles se base une bande dessinée récemment parue.
Avant 1950, la Bretagne apparaissait dans l’imaginaire collectif comme archaïque et sous- développée. Pourtant, trente ans plus tard, la région est un modèle d’élevage industriel en France. Ce passage d’un extrême à l’autre a résulté du remembrement agricole, sujet de la bande dessinée Champs de bataille1 publiée le 20 novembre. La journaliste Inès Léraud2, autrice de l’ouvrage, présentera son roman graphique aux Champs Libres le 12 décembre. Elle sera accompagnée de Léandre Mandard, historien au CHSP3 et conseiller pour la BD.
Croiser les sources
Le remembrement est une politique de modernisation agricole qui consiste en une redistribution obligatoire des parcelles, de façon à les regrouper et les agrandir. En Bretagne, deux tiers des terres agricoles ont été concernées par cette réorganisation, principalement entre 1950 et 1990. Étant donné le caractère récent des faits, de nombreuses archives officielles de l’État sont accessibles. Néanmoins, « ce type de documents donne essentiellement accès au point de vue de l’institution et présente un certain nombre de biais », explique Léandre Mandard. Afin d’y remédier, l’historien et la journaliste ont croisé les informations contenues dans ces écrits avec des témoignages oraux récoltés dans le cadre de la rédaction du roman graphique. Et si les textes officiels font état d’un remembrement sans anicroche, les entretiens livrent une toute autre version des faits.
Au fil des pages de la bande dessinée, le lecteur apprend effectivement que la réorganisation foncière s’est globalement déroulée au profit des exploitants les plus modernistes, possédant ou pouvant acquérir des machines aptes à cultiver des parcelles de grandes tailles. « Les agriculteurs âgés ou exerçant une autre activité en parallèle, et ceux ne pouvant ou ne voulant pas prendre le train du productivisme, étaient marginalisés dans les décisions et se considéraient comme les perdants du remembrement », constate Léandre Mandard. Des conflits locaux sont ainsi rapidement apparus, du fait de la mise en concurrence des exploitants, cumulée à un sentiment d’injustice parfois provoqué par les réattributions de parcelles. « Mettre en lumière ces faits, véritables angles morts des études sur le remembrement, était l’un des objectifs de la BD », révèle l’historien qui considère que « cet aménagement brutal a favorisé la liquidation de la société paysanne ».
Des conséquences colossales
Second but du roman graphique : contribuer aux réflexions sur le devenir du bocage et de l’agriculture en Bretagne. Cette politique de modernisation, bien souvent réduite aux gains économiques qu’elle a permis, a entraîné des conséquences environnementales colossales. Entre destruction des haies et talus, drainage de parcelles et disparition de zones humides, le bocage breton a été considérablement dégradé. Un élément à prendre en compte dans l’adaptation des pratiques agricoles.
1. Illustrée par Pierre Van Hove et publiée aux éditions Delcourt.
2. Également autrice de Algues vertes, l’histoire interdite (éditions Delcourt, 2019).
3. Centre d'histoire de Sciences-Po.
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