Les drogues, des « leurres pharmacologiques »

Les drogues : stupéfiantes molécules

N° 433 - Publié le 27 novembre 2025
© SCIENCE PICTURE CO / ALAMY
Illustration de la fente synaptique, espace microscopique séparant deux neurones, où sont libérés les neurotransmetteurs.

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Lorsque l’on consomme des drogues, de complexes réactions chimiques se mettent en place entre nos neurones, perturbant le circuit de l’information. À terme, cela peut même modifier le fonctionnement du cerveau.

Comment expliquer que la cocaïne suscite euphorie et sentiment de toute-puissance ? Que la MDMA ait des propriétés entactogènes1, et que le LSD provoque des hallucinations ? Les drogues ont beau entraîner des effets différents, elles partagent toutes un point commun : « Ce sont des leurres pharmacologiques », observe Morgane Guillou, psychiatre-addictologue au CHU de Brest et professeure d’addictologie à la faculté de médecine de Brest.

Clé et serrure


Tout débute dans le cerveau, là où les neurones analysent et transmettent des informations en libérant dans la synapse2 des composés chimiques un peu spéciaux, les neurotransmetteurs. Ces petits messagers s’attachent ensuite à des récepteurs spécifiques à leur forme et leur taille, fixés sur le neurone voisin, comme une clé dans sa serrure. Le corps humain en produit des dizaines : la dopamine est associée au plaisir, la sérotonine influence notre humeur, l’acétylcholine est essentielle à la mémoire, la noradrénaline régule le stress…

Mais les drogues interfèrent avec ce circuit bien rodé. Certaines molécules utilisent en effet leur ressemblance avec des neurotransmetteurs pour les imiter. « Tous les opioïdes3 activent par exemple les mêmes récepteurs que les endorphines, ce qui entraîne bien-être et diminution de la douleur », explique Thomas Gicquel, enseignant en pharmacologie et praticien au laboratoire de biologie toxicologique et médicolégale du CHU de Rennes.

Les hallucinogènes fonctionnent sur le même principe, ciblant cette fois un récepteur à la sérotonine qui, stimulé, provoque des hallucinations. « Les molécules sont synthétisées selon les effets attendus : pour entraîner des hallucinations, il faut activer le récepteur sérotoninergique 5-HT2A, donc on crée une structure moléculaire (une clé) proche de la sérotonine, capable de déverrouiller le récepteur (la serrure) », poursuit le spécialiste.

Les drogues psychostimulantes, elles, augmentent la concentration de certains neurotransmetteurs dans la synapse. Une fois libérés, ces derniers peuvent en effet se fixer au neurone voisin, mais aussi se dégrader ou être recaptés par le neurone émetteur. « La cocaïne et les dérivés amphétaminiques empêchent la recapture de la dopamine, de l’adrénaline et de la noradrénaline, il en reste alors plus pour agir », illustre le chercheur. 

Vulnérabilités croisées


Les drogues perturbent donc le circuit de l’information, et peuvent même, à terme, modifier le fonctionnement du cerveau. « Au départ, l’usager consomme car il cherche un effet positif, mais au fur et à mesure l’équilibre change : on ne consomme plus pour se sentir mieux mais simplement pour ne pas aller mal », souligne Morgane Guillou. Intimement liés, les circuits de la récompense, de la motivation et de la mémoire entrent en jeu dans la prise de décision. Si l’on se souvient que sniffer une trace de cocaïne entraîne une sensation de bien-être, cela peut motiver à passer à l’acte. Un système de rétrocontrôle empêche toutefois de céder à une telle envie. « Sauf que ce frein interne ne fonctionne plus chez les personnes dépendantes », explique l’addictologue, qui rappelle qu’il n’y a « pas d’usages sans risques, même à la première prise ». Attaques de panique, complications cardiovasculaires, décompensation psychiatrique, affaiblissement du système immunitaire… Les dangers sont multiples et varient selon les substances et les vulnérabilités de chacun. 

La bascule vers une consommation problématique réside, elle, dans l’accoutumance : un phénomène de tolérance amène à consommer davantage pour obtenir le même effet. « Puis vient la dépendance, une perte de contrôle de la consommation et une incapacité à arrêter malgré la volonté », retrace la spécialiste. Cela dépend du potentiel addictif de la drogue : l’héroïne et la nicotine engendrent très vite une dépendance. Mais l’addiction est aussi le produit de vulnérabilités individuelles et environnementales. Certains traits de personnalité, comme l’anxiété ou l’impulsivité et des expériences traumatisantes, sont autant de facteurs de vulnérabilités. « Il y a également une part d’héritage génétique, qui s’exprime souvent par une sensibilité accrue à la récompense, explique Morgane Guillou. L’insertion sociale et la normalisation de la consommation dans certains milieux jouent aussi beaucoup, les fragilités se cumulent. » 

Leurrer l’envie


« L’addiction est une maladie chronique, pas une honte, et peut concerner de nombreuses substances, insiste la clinicienne. D’ailleurs, il n’y a aucune différence entre drogues licites ou illicites, si ce n’est le statut réglementaire. » Dans le cas de l’addiction au tabac ou aux opioïdes, la prise en charge peut s’appuyer sur un traitement médicamenteux. Il s’agit alors de remplacer la drogue par une molécule qui se fixe sur le même récepteur sans engendrer d’effets. Puisque le récepteur est stimulé, l’envie irrépressible de consommer disparaît. En 2023, 155 762 personnes ont bénéficié d’un remboursement de traitement par agonistes opioïdes en médecine de ville selon l’OFDT4. « Il existe donc des données fiables sur les gens qui consultent et demandent des soins, mais elles sont partielles pour l’ensemble des usagers », rappelle Morgane Guillou.

Violette Vauloup

1. Qui favorisent l’envie de se rapprocher des autres.
2. Zone située entre deux neurones.
3. Famille de substances aux effets analgésiques parmi lesquelles on retrouve la morphine, l’héroïne ou encore le tramadol.
4. Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

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