Les verres noirs s’éclairent
Composition, fabrication : deux révolutions en cours dans le domaine des verres noirs, qui permettent de voir la nuit.
Du germanium associé à du soufre, du sélénium ou du tellure, auxquels on rajoutera un soupçon d’arsenic pour la transparence ou bien d’antimoine pour plus d’opacité, telle est la base de la fabrication des verres de chalcogénures. « Je connaissais tous les types de verres, sauf ceux-là, la spécialité du labo ! » Laurent Calvez se souvient avec amusement des débuts de sa thèse au laboratoire Verres et céramiques(1) à l’Université de Rennes 1. L’ingénieur matériaux s’est rattrapé depuis : ces verres noirs qui transmettent la lumière dans le domaine des infrarouges et permettent de voir la nuit, n’ont aujourd’hui presque plus de secrets pour lui.
La commande de la Direction générale des armées (DGA), qui finançait sa thèse, était pourtant corsée : arriver à rendre ces verres noirs plus transparents pour faciliter le contrôle qualité, mais surtout renforcer leur solidité, tout en faisant baisser le prix de la fabrication. « Les applications possibles sont nombreuses et pas seulement militaires, explique Laurent Calvez. Certains véhicules haut de gamme en sont déjà pourvus. Mais leur prix freine pour l’instant leur diffusion. L’idée serait de pouvoir équiper toutes les voitures. Cette technologie pourrait aussi être utile aux pompiers, pour les aider à voir à travers une fumée épaisse. »
Pour traiter la question de la solidité, Laurent Calvez a commencé par tester différentes compositions de verres, en essayant d’y inclure des microparticules inférieures à 10µm.
Instables par nature
« On sait que cela renforce les propriétés mécaniques, poursuit-il. Mais la réalisation est très complexe quand on travaille sur les verres car ce sont des matériaux, par nature amorphes, c’est-à-dire qui ne contiennent pas de cristaux. On arrive cependant à faire naître des microparticules grâce à un chauffage contrôlé et très lent. » Après bon nombre de tâtonnements, entre 300 et 400 essais, le jeune chercheur a fini par sélectionner quatre recettes (composition optimale du verre associée à une température et un temps de cuisson spécifiques). « Une est particulièrement sortie du lot », précise-t-il. Protégée par un brevet au nom du CNRS en 2005, elle fait toujours l’objet de recherches menées dans le cadre d’une nouvelle thèse encadrée par Laurent Calvez.
Dans les cellules photovoltaïques
« J’encadre aussi une autre étudiante sur une composition un peu différente, poursuit-il. Nous jouons ici sur la nature des microparticules. Nous avons eu l’idée d’utiliser des terres rares, qui sont des éléments chimiques capables de capter la lumière dans le proche infrarouge et de la réémettre dans le domaine du visible. » Derrière ces phénomènes optiques se cache une autre application de taille : l’augmentation du rendement des cellules photovoltaïques.
Mais les bonnes pistes ne s’arrêtent pas là ! Si Laurent Calvez n’avait pas obtenu de résultats significatifs concernant la synthèse des verres de chalcogénures pendant sa propre thèse, l’éclair de génie est quand même venu. Il faut savoir que ces verres sont très difficiles à fabriquer. Pour être totalement transparents dans l’infrarouge, ils ne doivent comporter aucune impureté, aucune trace d’eau ni d’oxygène. La synthèse doit donc se faire sous vide dans des verres de silice capables de résister à un chauffage à 900°C, pendant toute une nuit. Sachant qu’à ces températures, les matériaux utilisés cités plus haut, comme le soufre, sont volatiles... Alors Laurent Calvez tente le tout pour le tout.
Finis le chauffage et les explosions !
De retour d’un colloque, il a l’idée de transposer une des méthodes de fabrication de médicaments à la structure vitreuse, à ses verres. Tous les ingrédients sont d’abord mélangés dans un broyeur hermétique à température ambiante. « Il suffit ensuite d’un frittage entre 300 et 400°C pendant cinq minutes pour obtenir les verres de chalcogénures ». Finis les problèmes de chauffage et d’explosion ! Le coût final de la synthèse en est même divisé par deux. Brevetée, la méthode n’est pas encore parfaite : à cause des broyeurs qui ne sont pas tout à fait hermétiques, des traces d’oxygène subsistent dans les verres. Ce détail réglé, les nouvelles voies d’applications devraient fuser.
Laurent Calvez : 1er prix - Chimie verte, chimie bleue, chimie responsable
Originaire de Brest où il commence ses études, il effectue un IUT à Saint-Brieuc avant d’arriver à Rennes pour un magistère sur les matériaux, qu’il couple avec un DEA de chimie à l’Université de Rennes1. Son intérêt pour les verres le guide vers le laboratoire Verres et céramiques de l’Université de Rennes1 où il s’installe pour sa thèse de 2003 à 2006. Il est aujourd’hui maître de conférences dans cette même équipe.
Thèse : Nouveaux verres et vitrocéramiques transparents dans l’infrarouge pour l’imagerie thermique.
(1) UMR CNRS 6226 - Sciences chimiques de Rennes.
Laurent Calvez
laurent.calvez [at] univ-rennes1.fr (laurent[dot]calvez[at]univ-rennes1[dot]fr)
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