Un mur végétal superisolant
Des chercheurs et constructeurs européens, notamment rennais, inventent des isolants biosourcés pour les bâtiments.
À Rennes, des chercheurs collaborent au projet européen Isobio(1) pour inventer un mur végétal superisolant. Le projet a été monté, à l’IUT Génie civil de l’Université de Rennes 1, par le professeur Christophe Lanos, directeur du Laboratoire de génie civil et génie mécanique (LGCGM), avec la chercheuse Florence Collet(2). Six enseignants-chercheurs et deux doctorants y travaillent. « L’objectif est de développer des isolants biosourcés pour les bâtiments, résume la scientifique. Un isolant est réalisé à base de chanvre, ou d’une autre agroressource. C’est un panneau préfabriqué en usine, ou un matériau frais à mettre en œuvre sur le chantier. »
À l’image de Superman, dont le regard traverse les objets, ces spécialistes savent exactement ce qu’il se passe dans la paroi d’un bâtiment. Ils étudient le comportement hygrothermique d’un mur : l’humidité y est-elle stockée ou transférée, quelles sont ses oscillations de température, quelle est l’inertie du matériau ? « Les matériaux biosourcés, poursuit Florence Collet, sont très bons, voire excellents pour agir sur le stockage et le déstockage de l’humidité. Le confort de l’habitant en dépend. » Sans compter qu’un bâtiment humide a des besoins énergétiques supérieurs. Le mètre étalon de ces chercheurs s’appelle la MBV(3), ou valeur tampon hydrique. Elle correspond à la quantité d’eau qu’un mur absorbe à sa surface, pendant un temps donné. « Cet indice caractérise la capacité d’un matériau à réguler l’humidité ambiante. S’il est compris entre un et deux, c’est bon. Supérieur à deux, c’est excellent. L’indice du plâtre est égal à un. Celui du béton cellulaire est de 1,1. Le béton de chanvre atteint 2,15 ! »
Chanvre, maïs, lin
Les ressources étudiées sont de la paille de blé ou de colza, des chènevottes de chanvre(4), des rafles de maïs(5), des fibres et de l’anas de lin(6). Ces matières premières, qui ne sont pas valorisées par ailleurs, sont fournies par la filiale d’une coopérative agricole vendéenne(7). La recette consiste à associer un granulat (comme la chènevotte) avec un liant (dans la paille, par exemple). Le granulat apporte sa porosité au matériau : l’air est emprisonné dans des cellules, d’où les excellentes propriétés isolantes. Le liant fait en sorte que le matériau tient bon.
Les scientifiques ont caractérisé (masse volumique, porosité, absorption d’eau, conductivité thermique, valeur MBV) chacune des six agroressources et testé plusieurs combinaisons entre elles. Ils ont aussi ajouté de la terre, apportée par une entreprise allemande qui participe au projet, pour faire le liant. « Nous avons validé une synergie entre le granulat, de type chanvre ou maïs, et la matière terre, explique Christophe Lanos. Le comportement hydrique est encore meilleur que le chanvre seul, ou la terre seule. Leur mesure tampon hydrique, à chacune, est égale à deux. En les couplant, la MBV du matériau composite est supérieure à deux : elle peut atteindre 2,7 ou même dépasser 3 ! »
Moins de CO2
Ces résultats sont prometteurs. Ils sont valables pour l’instant à l’échelle d’échantillons. Ce sont des cubes dont les arêtes mesurent environ 10 cm. « Nous n’avons pas encore toutes les performances mécaniques souhaitées, précise Christophe Lanos. Il faut optimiser le liant du composite, sans pénaliser les performances thermiques et hydriques. » L’été dernier, à la réunion générale du consortium Isobio, les Rennais ont montré aux confrères européens la faisabilité de ces matériaux biosourcés. Les objectifs techniques et environnementaux du cahier des charges devraient être atteints : meilleure isolation (20 %) que les matériaux conventionnels, baisse (15 %) des coûts de production, réduction importante (50 %) des émissions de CO2 et de l’énergie grise(8). Ce dernier point s’explique, car les agroressources sont locales et leur transformation peu énergivore.
La prochaine grande étape est la construction d’un mur prototype de 5 m2, truffé de capteurs. Il sera bâti entre deux pièces étanches, où les taux d’humidité et de température seront sous contrôle, et fera l’objet de tests. « La solution sera vraisemblablement multicouche, estime Christophe Lanos. Le matériau du mur aura un cœur isolant, de type chènevotte, et le liant sera formé par des rafles de maïs et de la terre, dont la MBV est très élevée. » Le mur sera construit au printemps 2017. Il se retrouvera peut-être dans les maisons du futur.
(1) La devise du projet Isobio (isobioproject.com) est “Naturally High Performance Insulation”. Le projet a commencé en 2015 et aboutira en 2019.
(2) Florence Collet est maître de conférences à l’Université de Rennes 1, spécialiste des propriétés thermiques et hydriques des matériaux.
(3) Moisture Buffer Value.
(4) Un plan de chanvre peut atteindre 4 m de haut. La chènevotte, jamais valorisée jusqu’à présent, est le bois au centre de la tige, qui est fragmenté. Elle se situe sous les fibres vertes, utilisées pour la laine de chanvre.
(5) La partie centrale du maïs, sous les grains, fragmentée également.
(6) L’anas du lin correspond au bois fragmenté de la tige.
(7) Cavac biomatériaux.
(8) Énergie nécessaire pour fabriquer un matériau, en incluant notamment les transports.
Christophe Lanos
tél. 02 23 23 40 00
christophe.lanos@univ-rennes1.fr
Florence Collet
tél. 02 23 23 40 56
florence.collet@univ-rennes1.fr
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