Vers un art nouveau de l’expertise

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N° 279 - Publié le 7 juillet 2014
© LPGNantes/Coll. MUSÉE DE BRETAGNE
Ce tableau est peint sur deux toiles grossièrement reliées. Selon les historiens, il rend hommage à l’action du Club Breton, ancêtre du Club des Jacobins, pendant la Révolution française. Ici, Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, héroïne de la Révolution, tend un portrait de Louis XVI coiffé d’un bonnet phrygien, à un sans-culotte anonyme posté devant l’entrée du Club Breton.

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Une entreprise d’analyse scientifique d’œuvres d’art a utilisé une méthode d’expertise par imagerie hyperspectrale sur un tableau du Musée de Bretagne.

Club Breton, cette œuvre du Musée de Bretagne, qui sera bientôt présentée au public (lire encadré ci-dessous), a récemment fait l’objet d’une expertise par Art’Cane, une entreprise vannetaise d’analyse scientifique d’œuvres d’art. Quelques-uns de ses secrets ont ainsi été révélés. « En parallèle de nos recherches documentaires, il importait de vérifier scientifiquement nos appréciations quant à sa datation et sa technologie, depuis le dessin préparatoire jusqu’aux pigments utilisés. Tout cela sans effectuer de prélèvement de matière sur la toile », précise Olivier Barbet, administrateur de la base d’inventaire du Musée de Bretagne. Impossible alors pour Caroline Leynia, créatrice d’Art’Cane, de procéder à des mesures au microscope électronique à balayage. 

« Cette méthode classique permet d’étudier les composants minéraux d’une peinture mais elle exige plusieurs ponctions, souligne-t-elle. J’ai donc choisi de faire appel aux compétences du Laboratoire de planétologie et de géodynamique de l’université de Nantes (LPGNantes) en imagerie hyperspectrale, car cette technologie, encore assez peu utilisée pour analyser les œuvres d’art, est prometteuse. »

Un bleu de 1704

« De la même manière qu’elles filment la surface des planètes depuis les sondes spatiales, les trois caméras hyperspectrales que nous utilisons enregistrent chacune une image du tableau, non pas dans les trois couleurs rouge-bleu-vert comme les caméras classiques, mais dans plusieurs centaines de longueurs d’onde. Pour couvrir à la fois le domaine du visible et l’infrarouge(1) », explique Stéphane Le Mouélic, ingénieur de recherche CNRS au LPGNantes.

Chaque pixel de l’image ainsi obtenu contient la “signature spectrale” d’une surface infime du tableau, c’est-à-dire la quantité de lumière réfléchie par celle-ci en fonction de sa composition et de sa structure, pour chaque longueur d’onde.

« En comparant les spectres des pixels à ceux de pigments purs connus, nous avons pu déterminer la composition des pigments utilisés par le peintre à différents endroits de la toile, indique Caroline Leynia. Nous avons ainsi montré que le bleu du drapeau n’est autre que du bleu de Prusse. » Un bleu fabriqué seulement à partir de 1704. Cette information a permis à Art’Cane de confirmer la plausibilité de la datation de ce tableau estimée d’après certaines indications historiques : « Parce qu’il fait référence à la journée du 20 juin 1792, lors de laquelle le Palais des Tuileries fut envahi par la foule révolutionnaire contraignant Louis XVI à boire à la santé de la Nation et à se coiffer du bonnet phrygien, ce tableau a donc probablement été réalisé dans les quelques années suivant cet événement », confie Olivier Barbet.

Obtenues à différentes longueurs d’onde (1 : 1µm , 2 : 1,4µm ,3 : 2µm ), ces images révèlent l’ordre de réalisation des édifices du second plan : ceux de droite ont été dessinés avant ceux de gauche. 
© LPGNantes/Coll. MUSÉE DE BRETAGNE

Les dessous de la peinture

Grâce à la capacité de pénétration de l’infrarouge, il est également possible de visualiser les dessins sous-jacents, voire de déterminer leur ordre de réalisation. « Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la toile, en l’observant à 1 puis 1,4 et 2 micromètres, le paysage dessiné change : certains édifices disparaissent du second plan », observe Caroline Leynia. L’artiste aurait vraisemblablement commencé à peindre les personnages et l’entrée du Club Breton, avant de s’attaquer aux édifices du second plan, de la droite vers la gauche. L’analyse scientifique est terminée, mais les recherches historiques, elles, continuent...

 
 

Pour l’admirer en vrai

Le tableau Club Breton sera exposé pour la première fois au Musée de Bretagne, à Rennes, le 18 septembre, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Vous pourrez le découvrir en compagnie d’Olivier Barbet, administrateur de la base d’inventaire du Musée de Bretagne, et de Caroline Leynia, créatrice d’Art’Cane, qui a analysé le tableau, à 14h30 et à 16h30. Entrée libre et gratuite.

Julie Danet

(1) De 0,4 à 2,5 micromètres.

Olivier Barbet, Tél. 02 23 40 66 81
O.Barbet [at] leschampslibres.fr (O[dot]Barbet[at]leschampslibres[dot]fr)

Caroline Leynia, Tél. 02 97 68 14 42
artcane [at] yahoo.fr (artcane[at]yahoo[dot]fr)

Stéphane Le Mouélic, Tél. 02 51 12 54 65
stephane.lemouelic [at] univ-nantes.fr (stephane[dot]lemouelic[at]univ-nantes[dot]fr)

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