Ils traquent les gros poissons
Face aux nouvelles réformes, les chercheurs et professionnels de la mer s’associent pour améliorer les chaluts de pêche.
Trier sur le fond, pas sur le pont. C’est l’expression à la mode à bord des bateaux de pêche. Elle traduit le principe de sélectivité, qui consiste à ne pêcher que les poissons dont l’espèce et la taille ont un intérêt commercial. Les autres restent en mer au lieu d’être capturés, triés puis rejetés par-dessus bord. Cette tendance n’est pas si récente, puisque les chercheurs et ingénieurs de la station Ifremer de Lorient travaillent, depuis les années 1980, à proposer des méthodes de sélectivité de plus en plus performantes en collaboration avec les professionnels de la mer.
« Avec les chaluts actuels, les rejets sont encore très variables, ils peuvent parfois atteindre 50 % des captures, explique Pascal Larnaud, ingénieur au Laboratoire de technologie et biologie halieutiques (LTBH), de la station Ifremer de Lorient. Un volume qu’il faudra dorénavant stocker dans la cale jusqu’au débarquement au port, puisque la nouvelle réforme de la Politique commune de la pêche (PCP)(1), votée en décembre 2013, prévoit l’interdiction totale des rejets des espèces sous quotas d’ici à 2019. Face à cette réforme du “zéro rejet”, déjà en vigueur depuis le 1er janvier dernier pour la pêche pélagique(2) - qui concerne les poissons vivant entre deux eaux, comme les sardines, les anchois et les maquereaux -, les professionnels doivent s’adapter : « Ça représente une perte de place pour stocker les poissons commercialisables et donc un coût d’exploitation supplémentaire pour couvrir cette perte. La solution, c’est de rendre la sélectivité encore plus efficace ! »
Le programme Redresse(3) est né dans ce contexte, porté par l’Association du grand littoral atlantique (Aglia)(4). Il vise à améliorer, entre autres, les chaluts de fond et les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne. Pour les premiers, qui servent à capturer à la fois des langoustines et des poissons de types merlu, lotte, rouget, sole..., les innovations consistent à modifier la forme, la taille ou le nombre des mailles du filet.
« Les mailles standards, en losange, se referment avec la traction exercée par le bateau.
Les poissons trop petits ne peuvent donc pas s’échapper, décrit Pascal Larnaud. Les tests réalisés jusqu’ici sur des chaluts jumeaux - l’un sélectif et l’autre en guise de témoin - montrent, par exemple, que si l’on change l’orientation des mailles, elles restent ouvertes et assurent une capture sélective des poissons. »
Échappez-vous, petits poissons !
En revanche, pour les espèces pélagiques, la modification des mailles n’est pas efficace. Comme il s’agit de petits poissons, il y a trop peu de différence de taille entre ceux qui sont commercialisables et les autres. Ils sont aussi très fragiles et perdent des écailles quand ils se coincent dans des mailles trop grandes.
« Nous avons donc opté pour une sélectivité acoustique en amont de la capture », dit Thomas Rimaud, coordinateur du projet Redresse à l’Aglia. L’échosondeur ES70 de l’entreprise norvégienne Simrad, choisi sur appel d’offres, réalise un échogramme pour déterminer la composition des bancs de poissons qui se situent sous le navire. « La fréquence et l’intensité des signaux qu’il fournit, cumulées aux savoirs empiriques des pêcheurs, caractérisent une espèce ou une taille de poisson spécifique. » Des tests effectués actuellement dans le golfe de Gascogne permettent de comparer les résultats du sondeur avec les captures réelles. Un retour d’expérience est prévu cet automne.
6000 langoustines marquées
La nouvelle PCP prévoit tout de même une exception avec l’exemption de l’obligation de débarquement des espèces pour lesquelles un fort taux de survie peut être démontré. « Mais on manque de connaissances scientifiques à ce sujet », commente Sonia Méhault, ingénieure au LTBH. Pour en savoir plus, elle coordonne depuis juin 2014 le projet Ensure avec sa collègue Dorothée Kopp. Cette étude concerne les langoustines et les poissons sous quotas(5) pêchés à bord des fileyeurs à Boulogne-sur-Mer (Nord-Pas-de-Calais) et des chalutiers à Noirmoutier (Pays de la Loire), au Tréport (Normandie) et dans le Finistère(6). « Lors du tri sur le pont du bateau, nous évaluons la durée de survie des individus puis leur état de vitalité lorsqu’on les rejette à la mer, en fonction des paramètres extérieurs tels que la température de l’air. » En complément de ces données chiffrées, 2000 poissons et 6000 langoustines ont été marqués avant d’être rejetés en mer, lors de plusieurs campagnes en été et en hiver. Ils sont munis d’un filament de plastique portant une inscription rouge indiquant le numéro de téléphone de l’Ifremer. « Cette expérience qualitative permet de vérifier que la survie est possible, précise Sonia Méhault. Pour l’instant, les pêcheurs nous ont ramené vingt individus toutes espèces confondues ». La dernière campagne de marquage est prévue cet été dans la Manche.
Explorer la vie portuaire en six parcours
Les filières de la pêche et de la construction navale sont prédominantes à Lorient et sa région. Pour faire découvrir cette identité maritime, les médiateurs de l’Espace des sciences/Maison de la mer-Lorient emmènent les visiteurs suivre six circuits portuaires du 7 juillet au 28 août. Le port dévoile le parcours du poisson de la mer à l’assiette, la gestion de la ressource, les techniques de pêche et le système des ventes. L’Ifremer propose d’expérimenter les engins de pêche dans le bassin d’essais. Le centre technique IDmer montre comment les nouveaux produits alimentaires sont élaborés. Les Chantiers navals Bernard révèlent les savoir-faire en construction et restauration de navires. Et l’aire de réparation de Keroman met au jour la face cachée des chalutiers, ferries, vedettes et voiliers grâce à l’élévateur le plus puissant d’Europe.
Tél. 02 97 84 78 00
www.lorient-tourisme.fr
(1) Lire Sciences Ouest n° 305, janvier 2013.
(2) Ainsi que les pêcheries de saumon en mer Baltique et les pêcheries à des fins industrielles.
(3) Réduction des rejets et amélioration de la sélectivité.
(4) L’Aglia est chargée de promouvoir les activités liées aux cultures marines et à la pêche dans le golfe de Gascogne.
(5) Le Tac (Total admissible de captures) est fixé par la Commission européenne pour chaque espèce à l’échelle de l’Europe et divisé en quotas par pays.
(6) En partenariat avec les Comités régionaux des pêches (Pays de la Loire, Normandie, Nord-Pas-de-Calais) et le Comité départemental des pêches maritimes du Finistère.
Pascal Larnaud
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pascal.larnaud [at] ifremer.fr (pascal[dot]larnaud[at]ifremer[dot]fr)
Thomas Rimaud
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Sonia Méhault
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