Une biomasse prometteuse
Des chercheurs travaillent à rendre plus rentable la méthanisation d’effluents agricoles liquides et solides.
Des résidus de cultures aux déjections animales, l’agriculture française produit 280 millions de tonnes d’effluents agricoles par an. Cette biomasse est prometteuse puisqu’elle produit un biogaz essentiellement composé de méthane, jusque-là peu exploité comme énergie renouvelable (lire Comprendre ci-contre). Installées sur les parcelles des agriculteurs, les unités de méthanisation actuelles sont bien adaptées aux substrats liquides comme le lisier. Mais certains effluents comme les fumiers de bovins contiennent trop de matière sèche. À Rennes, l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) étudie donc un nouveau procédé de méthanisation par voie sèche pour exploiter ce gisement. « Il s’agit quand même de soixante-sept millions de tonnes par an, souligne Pascal Peu, qui coordonne le projet(1). En réalité, la méthanisation solide existe déjà - il y a sept unités en France -, mais les réglages sont empiriques et les problèmes de fonctionnement se multiplient. »
Des champignons à la rescousse !
Le nouveau système permettrait en outre d’y inclure les résidus de cultures de blé, de colza et de maïs. « Une partie de la paille est mobilisée pour la litière et l’alimentation des bêtes, mais la majorité reste au sol, soit vingt-six millions de tonnes de paille par an. » Ces cosubstrats ont l’avantage de produire beaucoup de biogaz mais de façon très lente.
Avec l’Esiab (École supérieure d’ingénieurs en agroalimentaire de Bretagne atlantique, Brest), les chercheurs d’Irstea envisagent des prétraitements biologiques pour accélérer le processus(2). « L’idée est de casser la lignine qui structure la paroi des pailles afin de rendre accessible la cellulose. À Brest, les collègues étudient plusieurs champignons qui jouent ce rôle. Ici, à Rennes, on cherche d’autres microorganismes susceptibles de faire le travail. » Il reste à savoir si l’exploitation des résidus de cultures peut être facilement mise en œuvre à grande échelle. Pour répondre à cette question, Irstea réalise une étude de faisabilité(3) en laboratoire, avec l’Insa de Toulouse, Arvalis, et un agriculteur méthaniseur (Gaec du Bois Joly, à La Verrie, Vendée).
Des agriculteurs plus autonomes
« On souhaite caractériser en parallèle le substrat que l’on introduit dans le méthaniseur et le digestat qui en ressort. On en profite aussi pour tester un prétraitement non pas biologique mais mécanique, avec un broyeur installé derrière la moissonneuse, précise Pascal Peu. La méthanisation par voie sèche favorisera la mobilisation de gisements agricoles encore non exploités. De plus, cela permettra aux agriculteurs de devenir plus autonomes vis-à-vis des cosubstrats actuellement fournis par des tiers (industries agroalimentaires et collectivités...) et d’éviter les compétitions entre eux pour ces cosubstrats. On compte aujourd’hui 250 unités en fonctionnement en France, dont 40 en Bretagne(4) », souligne le chercheur. Des chiffres qu’il faudra multiplier par quatre d’ici à cinq ans, selon le cap fixé en 2013 par les ministères de l’Écologie et de l’Agriculture(5) pour répondre au paquet Énergie-Climat(6) 2020 !
La production de biométhane se développe
Riches en azote, les effluents agricoles servent avant tout d’engrais naturels pour les cultures. En dehors des périodes autorisées d’épandage, ils sont stockés dans des fosses ouvertes et émettent... du méthane qui est un gaz à effet de serre (GES)(7). Mais depuis quelques années, ce gaz est de plus en plus utilisé comme source d’énergie renouvelable.La méthode : les effluents sont mélangés et chauffés dans un méthaniseur. Puis, les bactéries présentes naturellement transforment la matière organique en biogaz par fermentation. « Ce biogaz subit une épuration et devient un gaz renouvelable et neutre que l’on appelle le biométhane. C’est un mélange principalement de méthane et de dioxyde de carbone, explique Pascal Peu, chercheur à l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea, Rennes). Une fois épuré, il peut alors être réinjecté dans le réseau GrDF, servir de biocarburant gazeux pour les véhicules (bioGNV), ou produire de la chaleur et de l’électricité lorsqu’on le brûle. » Actuellement, l’utilisation seule de ces effluents agricoles n’est pas rentable, car leur potentiel de production de méthane est faible. Il faut dans la plupart des cas y adjoindre d’autre substrats au potentiel méthanogène plus élevé pour atteindre le seuil de rentabilité économique (lire article ci-contre). À la sortie du méthaniseur, le digestat peut toujours être réutilisé comme fertilisant agricole. Une meilleure exploitation des effluents qui, par la même occasion, réduit les émissions de gaz à effet de serre.
Tél. 02 23 48 21 45
pascal.peu@irstea.fr
(1) Programme Méthasèche financé par une collaboration avec un industriel (dispositif Cifre) sur trois ans (2015-2018).(2) Programme Pétiole, financé par l’Ademe pour trois ans (2015-2018).(3) Projet Résimétha, en collaboration avec l’Institut du végétal Arvalis (institut technique au service des agriculteurs et des filières, Loire-Atlantique), financé par l’Ademe pour 3 ans (2015-2018). (4) http://carto.sinoe.org.(5) Dans le cadre du plan Emaa (Énergie méthanisation autonomie azote).(6) Adopté en 2009 par le Conseil européen, cet accord prévoyait de satisfaire 20 % de la consommation énergétique par les énergies renouvelables et de réduire de 20 % les émissions de GES à l’horizon 2020. Depuis, le paquet Énergie-Climat 2030 conclu le 23 octobre 2014 a porté la part des énergies renouvelables à 27 % de la consommation d’énergie finale de l’Union européenne.(7) Source : www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/ 88555_synthese-agriculture-francaise-reduction-gaz-effet-serre.pdf
Pascal Peu
Tél. 02 23 48 21 45
pascal.peu@irstea.fr
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