Les lunes de Mars sont nées d’un choc
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Nous savons désormais pourquoi Mars a deux lunes. Deux physiciens rennais ont participé à cette découverte.
Notre planète voisine a deux satellites naturels, Phobos et Deimos[1]. Ce ne sont pas des astéroïdes captés au vol. Leur naissance est racontée, preuves à l’appui, dans un article de la revue Nature Geoscience du 4 juillet. Quelques centaines de millions d’années après sa formation, Mars a été frappée par une protoplanète, plus petite. Ce méga-choc a éjecté des matériaux, qui se sont mis à tourner en orbite : en une trentaine d’heures, un disque d’accrétion est apparu autour de Mars. Les deux satellites d’aujourd’hui sont nés de ces poussières. Deux physiciens rennais sont au cœur de cette découverte, signée par une équipe internationale.
Mariko et Kevin Dunseath ont retracé le scénario de la naissance des lunes de Mars, grâce au calcul scientifique. Ils ont utilisé des outils de pointe en simulation numérique. Leur programme a tourné pendant plusieurs jours sur le "cluster de calcul" de l'IPR (l'armoire d'ordinateurs au second plan).
Nicolas Guillas
Comprendre l’histoire des deux lunes de Mars était l’objectif des planétologues Pascal Rosenblatt, de l’Observatoire royal de Belgique, et Sébastien Charnoz, de l’Institut de physique du globe. Le premier est un expert de Mars, dont il a déterminé la masse, le second est l’un des meilleurs connaisseurs des lunes et des anneaux de Saturne. En janvier 2015, ils ont fait appel à Mariko Terao Dunseath et Kevin Dunseath, professeur de physique et chargé de recherche CNRS, à l’Institut de physique de Rennes (IPR). Ce couple de scientifiques, spécialistes de la physique quantique, est expert en simulation numérique, appliquée aux processus atomiques. « Pascal Rosenblatt voulait simuler l’accrétion du disque externe de Mars, suite à un impact géant », explique Mariko Terao Dunseath.
Des centaines de lunes
Le méga-choc, ainsi que l’accrétion du disque interne (la partie la plus proche de Mars, où la densité de particules en orbite est élevée), avaient déjà été simulés. En vain. Cela ne permettait pas d’expliquer la formation de Phobos et Deimos, avec leurs masses, leurs orbites et leurs positions d’aujourd’hui. Les planétologues avaient déjà montré, grâce à des calculs, que des lunes s’étaient formées, à partir des matériaux du disque d’accrétion : en quelques dizaines d’années, dans une gigantesque rotation orbitale, des centaines de lunes minuscules se sont progressivement agglomérées. Ils ont formé trois ou quatre corps, plus gros, et une grande lune, jusqu’à la distance de 4 rayons martiens. Mais ces astres, qui se sont d’abord éloignés, sont restés proches de Mars, sous une distance critique, appelée l’orbite synchrone (à 6 rayons martiens) : ils ont fini par se désintégrer, en retombant vers le sol martien. Alors, comment expliquer d’où viennent Phobos (distant aujourd’hui de 3 rayons martiens du sol) et Deimos (à 7 rayons) ?
« Nous avons écrit un programme informatique, pour suivre les corps qui se déplacent sous l’influence des forces gravitationnelles, résume Mariko Terao Dunseath. En une après-midi, le premier code est écrit. Il compte une trentaine de ligne. Ce programme montre comment les poussières, en orbite dans le disque externe, forment d’abord des centaines d’embryons planétaires d’un kilomètre de rayon. « Ce qui est compliqué, explique Kevin Dunseath, c’est de déterminer, à chaque étape du calcul, si deux corps du disque externe, proches l’un de l’autre, vont former un corps plus gros, où s’il y aura un rebond lors de la collision. Cela dépend de leurs tailles et de leurs vitesses ».
Plus de 300 simulations sont réalisées, en modifiant à chaque fois les conditions initiales. Une simulation nécessite plus de trois jours de calculs, réalisés sur le « cluster de calcul » à l’IPR, autrement dit une armoire remplie d’ordinateurs. Et cela a marché ! En octobre dernier, les simulations numériques donnent naissance aux deux corps célestes, autour de Mars. « Notre modèle et notre code sont les premiers capables de produire Phobos et Deimos, là où ils sont », note Mariko Terao Dunseath.
La clef de l’énigme
Les deux chercheurs rennais ont découvert que la clef de l’énigme était l’interaction entre les premières lunes, apparues près de Mars et aujourd’hui disparues, et les débris plus lointains où sont nés les deux satellites. « La grande lune a perturbé les petits corps du disque externe, par un phénomène de résonance. Cette interaction a été cruciale pour la formation de Phobos et Deimos », poursuit Kevin Dunseath. Avant celle réalisée à l’IPR, les premières simulations ne permettaient pas de comprendre ce phénomène global, autour de la planète rouge.
Le couple de physicien, désormais passionné d’astronomie, poursuit ce programme de recherche avec les planétologues. Ils veulent mieux connaître la masse de la protoplanète qui a frappé Mars et découvrir plus précisément le scénario du choc. Leurs calculs pourraient permettre d’estimer la composition de Phobos et Deimos. Cela servira à l’agence spatiale japonaise Jaxa[2], qui enverra une sonde sur Phobos en 2024. Les échantillons, qui nous reviendront cinq ans plus tard, pourraient alors confirmer ce scénario.
(1) Phobos mesure 27 km de long, Deimos 15 km.
(2) Japan Aerospace Exploration Agency.
Mariko Terao Dunseath
tél. 02 23 23 56 60
mariko.dunseath-terao@univ-rennes1.fr
Kevin Dunseath
kevin.dunseath@univ-rennes1.fr
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